Se perdre dans Innocence : Ghost in the Shell 2, c'est avant tout plonger dans les méandres des visions de son auteur, Mamoru Oshii. Au coeur de ses obsessions, de son profond pessimisme qu'il porte sur l'humain. Un humain qu'il rejette quasi systématiquement en arrière plan, tant il semble en faire peu de cas, tant il semble le considérer avec dédain.
Innocence emprunte sa beauté par instant froide et figée à la figure qu'il met constamment en scène : la poupée. Inanimée, impassible dans une éternelle expression glaçante et inquiétante, d'apparence vide, qui s'anime comme dans un flash, portant le malaise déjà présent un peu plus haut quand ses yeux étranges croisent le regard de la caméra. Bien que vides en apparence, ce sont pourtant ces poupées qui crient dans un murmure "sauvez-moi", avant de mettre fin à leurs jours, comme si elles questionnaient ceux qui enquêtent sur cette étrange affaire en ces mots "où est donc passée votre âme ?".
Mamoru Oshii brouille les frontières, envisageant les poupées qui peuplent ses obsessions comme la représentation la plus parfaite de l'humanité. Une humanité qui les considère d'ailleurs comme un reflet, l'objet par lequel elle s'adapte, se recrée et satisfait son instinct de perpétuation et de domination. Froid, glaçant, dérangeant, Innocence s'acharne pourtant à les représenter menaçantes et mises en pièces, tombant sous les balles de Batou.
Si Oshii brouille les frontières de l'âme, il pervertit sans cesse celles de la réalité et de la perception en piratant les ghosts, en jouant sur le ressenti et les messages, les changements subtils de perspectives ou encore les répétitions, comme lors de cette visite de Batou et Togusa dans le château de Kim, instant vertigineux, déstabilisant, hors du temps et inscrit dans un espace incertain. Tout cela ne fait que coller au voyage intérieur et à la quête de sens de Batou, dont l'état est finalement étrangement similaire à celui de Kusanagi dans l'opus original. Mais là où la réflexion primait dans la tête du Major, Batou passe plus à l'action , uniquement rattaché au monde réel par la répétition d'un rituel de nourriture et de soin d'un être cher. Tout cela conduit à une autre des obsessions du réalisateur, la mise en scène de son basset, finalement bien plus expressif que les deux pattes qui l'entourent. Il ne faudra en effet qu'un regard reconnaissant, ou encore une scène où l'animal s'endort sur les genoux de son maître, pour faire changer le regard porté sur le cyborg.
Un cyborg qui baigne dans un univers où les frontières temporelles sont elles aussi abolies, dans un décor qui se définit dans l'hyper technologie et l'aspect sombre, tout en se rendant compte que Mamoru Oshii n'hésite pas à mettre en scène de vieilles américaines sorties tout droit des films noirs des années trente ou à animer un défilé d'un autre temps, ancré dans les antiques traditions japonaises où chats esprits, danseurs et acteurs grimés se mêlent dans les voix tout aussi hypnotisantes que dissonantes de la musique cultissime d'un Kenji Kawai au sommet de son art.
Innocence semble renouveler à chaque vision sa richesse sans limite, tant visuelle que thématique, dans laquelle le spectateur se perd systématiquement, comme s'il avait ouvert une petite porte pour pénétrer l'inconscient foisonnant, obsessionnel et sombre de Mamoru Oshii. Une porte qu'il ne refermera jamais totalement après le générique de fin, tant Ghost in the Shell 2 imprime durablement l'imaginaire.
Behind_the_Mask, marionnettiste débutant.