Considéré, avec Manilla, comme LE film philippin par excellence, Insiang est ce que j'appelle un film magnifique, supérieur au premier, et qui est un bouleversant portrait de femme.
On pense aussi au cinéma italien, notamment le film de Scola que j'évoque comme titre, mais aussi cette sublime Hilda Koronel, dont le visage impassible rappelle Claudia Cardinale, le néoréalisme à la Rossellini et enfin ce sentiment de bordel permanent, jusqu'à mettre toute une famille dans un maison de fortune, mais j'y reviendrais.
Insiang est une jeune femme vivant seule avec sa mère, depuis que son père est parti pour une autre. Mais malgré ça, elles continuent d'héberger la famille du mari, qu'elles vont d'ailleurs dégager manu militari, et sa mère va rencontrer un homme de l'âge de sa fille.
Tout comme Manilla, mais plus encore, Insiang est un documentaire terrifiant sur les conditions de vie atroces de ces gens vivant dans ce bidonville, sans hygiène, où les maisons ont l'air de tenir comme des châteaux de carte avec des tôles, où la chaleur est si suffocante qu'il y a des moustiquaires de partout, mais malgré ça, cette jeune femme veut croire en un avenir meilleur, et rêve qu'un homme l'emmène ailleurs.
Elle le croit une première fois avec un mec qui lui propose rapidement de coucher dans un des hôtels les plus sinistres qui existent (avec une lumière rouge dans les chambres !), et qui partira bizarrement très vite, une fois l'affaire conclue.
Et puis, ça va être la rencontre avec l'amant de sa mère... tout cela pour dire que j'ai été touché par le portrait de cette femme, où Lino Brocka est clairement de son côté, pas celui des hommes, à un personnage près, où il y a là aussi une notion de pureté dans un tas de fumier, au sens figuré, qui l'entoure.
A noter que les premières minutes du film, qui consistent en des équarrissages de cochons sous nos yeux, peuvent provoquer un certain malaise, mais qui est le métier de ce jeune amant au sein de ce bidonville.
La mise en scène de Brocka est à ce titre exemplaire, où les personnages paraissent toujours au centre de l'image (carrée), comme pour montrer là aussi, ils semblent emprisonnés de leur condition.
Il y a aussi une scène magnifique, comme sortie du film, sans un mot ; un couple, un homme d'âge mur et une lycéenne qui sortent du fond du couloir de l'hôtel sinistre, pour se rapprocher de la caméra, et on voit que l'un semble heureux, alors que l'autre cache son visage avec ses larmes comme pour montrer qu'elle a honte d'avoir fait ça. En un seul plan, tout est dit sur la condition d'une femme, qui montre bien que le chemin pour leur liberté (à l'époque du film en tout cas) semble encore bien long.
Dire que ça a été tourné en 11 jours, et sorti 17 jours après ! La productivité de Lino Brocka, qu'on pourrait comparer à celle de Fassbinder, était très impressionnante, et ça ne gâche en rien la puissance de ce film sublime, mais pourtant si dur.