Il y a un avant et un après FEAR X dans la filmographie de Nicolas Winding Refn. Un avant et un après économique, tout d’abord, puisque le budget important du long-métrage failli ruiner la boîte de production du metteur en scène danois, l’obligeant ensuite à revenir sur la saga Pusher ; mais il y a aussi un avant et un après artistique. Refn n’a jamais caché ses influences – un peu comme cette scène au début de Bleeder où le personnage de Mads Mikkelsen fait la liste des réalisateurs présents dans son vidéoclub, Refn aligne les références et les inspirations. Si avec ses deux premiers films, il citait Scorsese et le polar hongkongais, c’est un tout autre type de cinéma qui va transcender FEAR X. Un cinéma qui va ensuite l’accompagner pour le reste de sa carrière : esthétique, métaphysique, contemplatif. Un orfèvre de l’image qui va piocher allègrement chez Kubrick, Lynch ou encore Jodorowsky, prenant le soin de disséminer des extraits de Blow Up ici et là : c'est une nouvelle préface, un tout nouveau départ.
Ce n’est pas un secret : Refn veut faire son Kubrick avec FEAR X. A la photographie ? Larry Smith, chef-électricien sur Barry Lyndon et Shining, chargé de l’éclairage d’Eyes Wide Shut. C’est leur première collaboration – Bronson et Only God Forgives lui succéderont – et elle n’est pas anodine : c’est un nouveau regard sur son cadre, sur la temporalité de ses films, que Refn pose ici. FEAR X est sa première anomalie ; anomalie qui deviendra ensuite nouvelle règle. L’auteur novateur se sacrifie au profit de l’auteur boulimique, et c'est à la fois une bénédiction et une malédiction.
Photo du film FEAR X : Turturro perdu dans NWR
FEAR X est une œuvre bancale. Si bancale qu’elle fascine, en réalité. Refn n’a jamais été un cinéaste très constant, mais de toute sa filmographie, ce troisième long-métrage est probablement celui qui laisse le plus songeur. Terminé en vitesse alors qu’il était proche de l’incident industriel, le scénario sera plus ou moins réécrit en post-production : en témoigne cette fin ambiguë pseudo-shyamalanesque, qui pose un mystère sans vraiment y avoir elle-même réponse. L’impression de s’être fait balader pendant une heure trente est donc bien présente, accompagnée d’une étrange admiration pour une telle démonstration technique qui arrive à rendre digeste ce cocktail improbable situé quelque part entre Twin Peaks, Fargo, Shining et Antonioni.
"Un tableau hypnotique, imparfait, vibrant, devant lequel on ne peut rester passif."
En résulte un quasi-nanar sensoriellement unique, au goût de vomi mais à la garniture impeccable. Si on ne connaissait pas Refn, on pourrait dire qu’il se fiche du monde, tant FEAR X navigue sans pudeur entre les effets lourdingues et les retournements de scénario pas très subtils. Mais derrière cet habit, on sait que la démarche est sincère et que FEAR X est davantage un film maudit qu’une action malintentionnée. Au-delà de la critique facile que l’on pourrait en faire, il y a un tableau hypnotique, imparfait, vibrant, devant lequel on ne peut rester passif.
Par KamaradeFifien, pour Le Blog du Cinéma