Après le récent succès critique mérité de The Card Counter (démonstration de cinéma de Paul Schrader, sans surprise), Oscar Isaac s’est retrouvé à nouveau sous le feu des projecteurs. L’occasion était donc rêvée pour revoir Inside Llewyn Davis, la performance qui a révélé l’acteur au grand public. Inside Llewyn Davis, grand prix du Festival de Cannes 2013 m’avait laissé de marbre à sa sortie, 9 ans plus tôt. Une question me taraude depuis que je l’ai revu : pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?


Avec Inside Llewyn Davis, les frères Coen livrent en effet un récit parfait sur la poursuite du rêve américain. Ou plutôt sur la difficulté de sa réalisation. Entre l’utopie et la réalité, il n’y a qu’un pas. Notre héros est un marginal par nature, qui traîne dans son baluchon le poids de son existence. Entre imprudences sexuelles, perte de proches et manque de repères familiaux, le fardeau que porte Llewyn Davis semble s’alourdir dès lors qu’il arrive dans un nouvel endroit. L’errance est en effet familière à cet artiste indépendant, qui rêve de faire carrière et de vivre de sa musique. Il est le parfait héros d’un film des Coen Brothers, incompris dans un monde de fous, ou fou dans un monde normal. La fatalité de son destin laisse place à deux hypothèses : ou Llewyn manque de chance, ou il paye pour ses erreurs passées. Peu importe le chemin choisi, le résultat est le même. Llewyn est une représentation moderne du vilain petit canard, incapable de se faire une place dans un monde qui ne veut pas de lui.


En suivant la vie de bohème de cet artiste brisé, les frères Coen appuient comme à leur habitude sur l’ambivalence de la notion de réussite sociale. S’opposent alors la passion et le succès, dualisme que l’on retrouve dans le Begin Again de John Carney , sorti la même année. Oscar Isaac, dont la prestation est tout simplement monumentale, signe ici la plus grande partition de sa jeune et déjà belle carrière. Dans cette œuvre, il fait tout, avec le cœur et sans doublure. Son timbre de voix, unique et envoûtant, sublime les partitions de la bande originale du long-métrage, elle aussi mémorable. L’acteur rend ses lettres de noblesse à la guitare folk, et la scène d’entrée d’Inside Llewyn Davis est assurément l’une des plus réussies de la dernière décennie. Cette omniprésence de la musique est à elle seule une véritable promesse de qualité. Surtout que les frères Coen, habitués à casser les codes, laissent chacune des chansons dans son entièreté. Le rythme du film est ainsi ponctué de quelques minutes de grâce absolue, profondément triste mais tristement profonde.


Difficile d’entrevoir des nuances d’espoir dans cette réalisation, si ce n’est à travers certains de ses personnages secondaires. Un alléchant casting composé de Justin Timberlake, Adam Driver et Carey Mulligan qui viennent pousser la chansonnette, casting complété par le génial John Goodman. Même la ville de New York, d’habitude représentée par des couleurs éclatantes, hérite ici d’une colorimétrie terne et nonchalante.


Inside Llewyn Davis est donc un film à part, qui parlera aux anxieux et aux oubliés. Loin du conte de fée, cette œuvre est une ôde aux rêveurs, qui persistent et qui continueront de le faire, continuellement. Une oeuvre majeure et trop peu connue du plus talentueux des duo, qui occupe une place irremplaçable dans mon coeur de cinéphile.

Baptiste-Gouin
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le 29 janv. 2022

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