Vu dans le cadre d'un cours de cinéma à Stockholm, je constate que le film, bien qu'étant fiché, semble n'avoir été vu par aucun membre du site. Ce n'est pas tellement surprenant, moi-même je n'ai entendu parler de Jan Troell qu' il y a quelques jours, c'est pourquoi j'estime qu'une critique du film pourrait rendre curieuses les nombreuses personnes qui regrettent de ne s'être arrêter en matière de cinéma suédois qu'à Ingmar Bergman (et plus récemment Let The Right One In).
S'il n'est pas forcément connu de la jeune génération cinéphile internationale (ses films se font rares depuis 91), Jan Troell est tout de même une figure phare du cinéma suédois de ces 40 dernières années avec des films comme Les Émigrants ou Le Nouveau Monde avec Max von Sydow et Liv Ullman. De ce que j'ai pu voir à travers ce film, son cinéma s'inscrit plus dans ce que souhaitait Bo Wideberg lorsqu'il chercha dans les années 60 à proposer une alternative au cinéma de Bergman, dont l'influence devenait à son goût trop importante (il admirait le talent du monsieur mais était fatigué de voir le cinéma suédois seulement résumé à cela dans le monde). Comprenez, Bergman faisait des films horizontaux, c'est à dire la relation de l'homme par rapport à Dieu ; Wideberg voulait voir des films verticaux, relation d'homme à homme (il s'est d'ailleurs mis lui-même à la réalisation, avec le film Le Quartier des Corbeaux, très célèbre en Suède).
C'est effectivement ce qui ressort dans Instants éternels qui représentent la vie d'une mère de famille, Maria Larsson, dans la Suède du début du XXe siècle. Beaucoup d'enfants, un travail éreintant, et un mari alcoolique et violent, la vie de Maria est loin d'être rose pourtant elle s'applique à être parfaite en bonne chrétienne. Ici, je simplifie ce que le film laisse passer goutte-à-goutte ; le film est raconté par l'aînée des enfants de Maria, et le regard de l'enfant sur ses parents est extrêmement sensibles. Le film n'est donc pas tellement démonstratif, il prend le temps d'installer les situations et les sentiments, il n'en fait jamais trop, et rarement pas assez. On pourrait se dire que le film serait sur le désir d'émancipation, puisque Maria trouve son réconfort dans sa passion, la photographie, qui lui permet de s'affirmer auprès des autres, et plus spécialement auprès de son mari. Pourtant je vois les choses autrement. Ce que Maria photographie sont des moments de vie, et des moments de sa vie, qu'elle est heureuse de garder, l'emprunte laissé dans le monde par la photographie est ce qui lui apporte à elle et aux autres aussi. On le voit précisément dans la scène où, à la demande de la mère, elle photographie le corps d'une petite fille noyée. Le moment est triste, mais l'emprunte toujours présente de la petite fille dans le monde la rend heureuse. "Elle n'a jamais été aussi belle" lui dira la mère en découvrant le cliché.
Ce que Jan Troell a trouvé d'intéressant dans cette histoire qui lui fut racontée, c'est son humilité, sa simplicité et son profond positivisme qui ne bascule jamais dans l'optimisme. Au-delà de tout cela, il apporte la subjectivité du regard du réalisateur sur la vie d'une femme ayant un don pour la photographie alors que la discipline venait de naître et que les premières caméras commençaient à circuler.