Entendons-nous bien.
J'aime l'espace, l'astrophysique et la SF.
J'aime globalement les films de Nolan.
J'aime Anne Hathaway et Matthew McConaughey.
Et mince... sur le plan technique, Interstellar est solide. Vraiment solide ! Les cadrages sont superbes (ce trou noir reste de toute beauté). Les effets de poussière et de lumière sont beau. La musique de Hans Zimmer s'empare tellement bien du film que j'en viendrais presque à suggérer Nolan de porter plainte tant le compositeur "vole" le film !
Et les acteurs font mouche à chaque fois. Les dialogues sont bons, et leurs personnages foutrement bien interprétés ! Mackenzie Foy, Anne Hathaway, Matthew McConaughey et David Gyasi tirent clairement le film vers le haut !
Et l'émotion p*tain !!!! Quand Matthew McConaughey chiale, je chiale ! Quand Hathaway se sent trahie par la révélation de Mann, je me sens trahi moi aussi ! Quand Murphy retrouve son père... chui ému aux larmes !
Entendons-nous bien : Techniquement... en temps que film, Interstellar est une réussite. C'est un film ULTRA maîtrisé.
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Mais du grand cinéma, ce n'est pas qu'un film maîtrisé. C'est aussi une question de message et de propos. Quand on réalise une œuvre narrative, il convient de se poser la question du message qu'on souhaite véhiculer.
Et c'est là que Interstellar me dérange.
Vraiment... Interstellar me dérange depuis le jour où je l'ai vu au cinéma. Quand tout le monde est unanime dessus pour l'ériger au rang de plus grand film de SF de la décennie 2010... quelque chose me dérange car voilà... Nolan véhicule dans ce film une idéologie très nauséabonde.
Vous vous souvenez de Independance Day de Rolan Emmerich ? L'énorme blockbuster nanardesque pro-américain des 90 avec Will Smith, Goldblum et Bill Pullman. Un divertissement pop corn bien con mais assumé et sacrément ambitieux dans lequel un monde USA-centré se retrouvait envahie par une race extra-terrestre destructrice à la technologie tellement sophistiquée qu'un simple virus informatique suffit à l'ébranler. Vous vous souvenez ? Ces alien franchement pas très gentils, qui vont de planète en planète pour les coloniser, les consommer puis les quitter comme des voleurs. Le président Whitmore les qualifie un moment de "Sauterelles".
Ben voilà ce que nous vend Nolan dans Interstellar : de devenir ces même sauterelles.
Alors certes, dans le film de Nolan, on ne déploie pas des destruction massive. On ne sort pas des gun. On n'extermine pas une espèce autochtone qu'on s'apprête à coloniser.
NON : on est dans un film émouvant, un drame où l'aventure humaine doit toucher le pathos... il faut donc adapter l'intrigue au narratif : il faut victimiser les sauterelles que Nolan veut nous vendre.
Donc on les fait fuir un cataclysme terrestre : des tempêtes de poussière qui rendent les récoltes stériles. Nous sommes en 2067 et la Terre nous chasse. Il faut donc partir.
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Je ne sais pas pour vous, mais moi je trouve qu'il y a un peu de l'escroquerie dans le propos. 2067, c'est un futur relativement proche... et sans vouloir me la jouer "Nostradamus du dimanche" si en 2067 la Terre devient invivable c'est surtout parce que la crise climatique (dont l'homme est responsable) y provoque des changements irréversibles. Montée des eaux, agriculture de masse, appauvrissement des sols et de la diversité. Destruction des forêts. Accroissement de la population. Sans vouloir faire mon écolo de comptoir, je trouve tout de même important de rappeler que le futur proche qui attend l'Homme, c'est ça. Le film de 1973, Soleil Vert parlait déjà de ça.
Et je trouve du coup un peu fallacieux (pour ne pas dire complètement falcieux) de la part de Nolan d'esquiver la question écologique dans son film. Parce que Nolan veut nous vendre une Humanité qui part ! Qui quitte la Terre ! Donc il faut bien la vendre ! Il faut pas donner aux spectateurs une mauvaise conscience... un sentiment de culpabilité de laisser un peu derrière soi une planète asséchée par un consumérisme coupable. Donc Nolan nous sort les tempêtes de poussière.
Pas une montée des eaux.
Pas un climat détraqué.
Pas des températures caniculaires.
Non non... une crise alimentaire causée par des tempêtes de poussière.
Alors en soit... Nolan pourrait avoir raison d'imaginer une Terre qui deviendrait naturellement invivable pour l'homme : le Soleil pourrait changer de température, un virus pourrait dégommer toutes les récoltes, un affaiblissement soudain du mouvement interne de la Terre... mais ce genre de choses arriverait quand... dans des dizaines de milliers d'années ? Voire... des millions ? Interstellar se déroule en 2067 : c'est demain quoi !
Mais le plus fallacieux, c'est quand Nolan expose son personnage principal aux éducateurs de sa fille. Des éducateurs qui veulent promouvoir l'agriculture et la sauvegarde de la Terre plutôt que de la quitter. Et que fait Nolan ? Il les fait passer pour des complotistes qui sont persuadés qu'on n'est jamais allé sur la Lune. (même le fils du personnage principal passe pour un crétin)
Ben ouais alors ! C'est clair en fait ! Rester sur Terre, y a vraiment que des cons pour y penser.
Mais vous savez quoi ? Dans la scène où Cooper se confronte aux éducateurs de sa fille... en fait... les 2 camps ont raison ! Il faut non seulement s'efforcer à rendre la Terre vivable MAIS aussi continuer l'exploration spatiale. Car à quoi bon changer de planète si on ne sait toujours pas comment y vivre sans la foutre en l'air : nous ne ferons que déplacer le problème systématiquement.
Et ce qu'il faut rappeler à Nolan, c'est que pour l'instant, on n'a pas de plan(ète) B. On n'a pas un joli trou de ver à côté de Saturne pour nous expédier vers une planète vivable. Donc en l'état, l'écologie et la vie sur Terre devraient être prioritaire sur l'idée même de quitter la planète.
Ce qui est d'autant plus curieux de la part de Nolan c'est qu'Interstellar est un hommage à peine masqué de 2001 : l'Odyssée de l'Espace de Kubrick. Le film de 1968 véhicule globalement la même destinée pour l'Homme : celle de devenir un être interstellaire s'affranchissant de sa nature mortelle... pour qui le temps n'est désormais plus une limite. Mais le film de Kubrick réussit sans mal à ne pas s'exposer au critique que je formule : la Terre n'y est que très peu présente. L'homme ne conquiert pas les étoiles pour la fuir dans une démarche de survie, il conquiert les étoiles vers un but de transcendance, de curiosité pour l'inconnu, de l'extraterrestre. La question écologique n'a pas lieu d'être.
Dans Interstellar... si... puisqu'il y a démarche de survie.
Voilà ma critique sur Interstellar : j'y vois un film superbement réalisé au service (intentionel ?pas intentionel ?) d'une propagande dont Elon Musk se féliciterait. Était-ce intentionnel de la part de Nolan ? Y a-t-il réfléchit ?
Je ne sais pas.
Vous savez le plus grand comble ? C'est que sur ce plan, même un nanar comme Independance Day est plus responsable que le film de Nolan : il est question d'écologie dans le film de Emmerich et jamais ce dernier ne perd de vue une tonalité de second degré... ainsi le nanar de 96 peut au moins se présenter comme un pur divertissement régressif de son temps à regarder sans grand sérieux. Bref, une bêtise gros budget inoffensive qui s'assume comme telle.
Interstellar ne l'a même pas cette excuse : sorti en 2014, l'écologie est alors sur toutes les lèvres ! Et Nolan fait de cette épopée spatiale une priorité de premier ordre : zéro second degré... tout est premier degré !
Ce qui est d'autant plus évocateur, c'est quand 5 ans plus tard sort le film Ad Astra de James Gray... un film évoquant aussi le voyage spatiale et la conquête des étoiles. Et bien la conclusion de Gray m'a bien plus satisfait...
car il rappelle que l'essentiel se trouve sur Terre.
Gray comprend bien mieux l'attitude responsable qu'il y a à faire de la Science Fiction. La science fiction est là pour exposer les questions et problèmes que suscitent le présent...
Nolan présente une solution sans même donner l'air de s'interroger sur le problème.