« Once you're a parent, you're the ghost of your children's future. » JOSEPH COOPER

Le projet est initié par la productrice Lynda Obst et le physicien Kip Thorne, qui ont pour but de créer un film de science-fiction spatiale d'une très grande vraisemblance scientifique, en se basant justement sur les travaux dudit physicien. Le scénariste Jonathan Nolan écrit alors un scénario pour le projet, qui est à l'époque sous la tutelle de DreamWorks. C'est d'ailleurs Steven Spielberg qui était à l'époque mandaté pour le réaliser, rôle qu'il finira par abandonner à la suite de la grève des scénaristes en 2007.

C'est le réalisateur Christopher Nolan, le frère de Jonathan, qui récupère le projet. Kip Thorne reste attaché au projet et va assurer une vraisemblance scientifique lors de l'écriture du scénario et de la modélisation des effets spéciaux comme l'apparence visuelle d'un trou noir.

Une collaboration fructueuse entre Christopher Nolan et Kip Thorne car leurs techniciens obtiennent l’Oscar des meilleurs effets visuels.

Interstellar sort en 2014 et son scénario s’inspire logiquement des travaux de Kip Thorne, surtout ses travaux dans le domaine de la gravitation. D'après ses recherches, il serait possible de voyager dans le temps, grâce aux fameux trous de vers. Kip Thorne a imposé deux lignes de conduite à suivre impérativement : rien ne doit violer les lois établies de la physique, et toutes les spéculations évoquées dans le film se doivent de provenir de la science et non pas de l'esprit créatif. Christopher Nolan a accepté ces conditions, tant qu'elles ne gênent pas la réalisation.

En reprenant ce projet de Steven Spielberg, le metteur en scène a hérité, ou plutôt assumé, le sentimentalisme propre à son illustre prédécesseur, et livre son film le plus émouvant, peut-être aussi parce qu'il semble être son plus personnel. Christopher Nolan paraît parfaitement conscient des caractéristiques de son oeuvre et, en bien des points, son dernier opus semble être une réflexion sur son propre cinéma, sur son approche du médium, souvent qualifiée, à tort, de froide ou de cérébrale. Si les émotions se font plus évidentes, l'intelligence du film demeure profondément ancrée dans la démarche du cinéaste.

D'aucuns reprocheront au film son sentimentalisme, mais il n'est jamais surfait. Au contraire, il est même des plus cohérents compte tenu du propos. Parce que derrière tout le verbiage, lui aussi destiné à être réprimandé, c'est ce coeur qui bat à travers tout le film. Il y a tout ce discours sur la place de l'amour dans la science. Dit comme ça, ça peut paraître complètement idiot, mais c'est la question que Christopher Nolan pose à son propre cinéma. En s'aventurant dans l'univers le plus loin possible de l'humain, l'espace noir et froid et vide, c'est comme si Nolan avait besoin de se priver ainsi pour laisser son coeur parler. Tout le cinéma de Christopher Nolan s'articule autour de la perte de l'être aimé et Joseph Cooper est à nouveau un veuf typique du réalisateur, même si, dans le cas présent, l'objet de son obsession n'est pas de venger sa femme, mais de retrouver sa fille ou plutôt la sauver.

Les quarante premières minutes sont une réussite du genre. En général, dans les films de science-fiction, le début est consacré à la préparation physique du héros ; ici, Christopher Nolan casse les codes et montre une préparation exclusivement psychologique, non pas du héros, mais de la relation fusionnelle que le héros incarné par Matthew McConaughey entretient avec sa fille Murphy (Mackenzie Foy enfant, mais une forte Jessica Chastain adulte). Sauver l’humanité implique de renoncer aux siens : une fois de plus l’idée est simple, mais Christopher Nolan la pousse dans son extrême et développe le lien d’amour filial jusqu’au bout de la narration.

Le lien entre Joseph Cooper et sa fille n’est pas le seul lien qui va se défaire et devra être renouer. Il y a celui de Amelia Brand et John Brand (Anne Hathaway et Michael Caine, des habitués de Christopher Nolan), il y a le lien entre Amelia Brand et Edmound, son amour perdu ainsi que celui du Dr. Mann avec l’humanité.

L’aspect dramatique n'épargne aucune effusion et tire sur la corde sensible du spectateur. Qu’on soit adepte ou non des larmes, l'émotion nous guide dans la tragédie enclenchée, où le père vit quelques jours en 50 ans et où sa fille le dépasse en âge. Le lien d’amour ne s’effrite pas avec le passage du temps, même si Murphy déteste son père pour l’avoir abandonnée, mais retrouvée et aidée sous forme de fantôme. En comparaison, on s’étonne du peu d’intérêt que Joseph Cooper porte à son fils Tom (Timothée Chalamet enfant et Casey Affleck adulte).

Interstellar est une épopée du temps (un thème central dans la carrière de Christopher Nolan). Plus que la mort, c’est la solitude qui concentre la dramaturgie. L’épisode du Dr. Mann avec le surprenant Matt Damon est symptomatique de l’insupportable solitude d’un homme. Il est présenté comme le plus vaillant des scientifiques et se révèle le plus lâche. Son nom n’est pas anodin : Mann signifie homme en allemand et se rapproche du Man anglais. Revers d’une même médaille, il est un homme total : grand savant et traître. La tentative de meurtre sur Cooper est un peu bavarde et ampoulée, mais la séquence recèle une emphase certaine due à l’action immodérée du traître. Pour ne plus être seul, Mann décide de tuer, proposition paradoxale qui enrichit les concepts à l'oeuvre.

Christopher Nolan favorise les narrations éclatées, et le film témoigne une fois de plus d'une véritable science du montage parallèle, l'écriture et la mise en scène appuyant la force des événements au travers de cette simultanéité, et pour cause, son obsession majeure semble être le dialogue entre les temporalités, entre passé et présent. C'est pourquoi ses films sont faits de flashbacks et d'allers-retours dans le temps, parce que le passé informe le présent, la mémoire est traître, la mémoire est moteur de nos actions. L'obsession de vengeance de ses personnages est mû par ces souvenirs qui les hantent. Ici, il est question de fantôme et Christopher Nolan met en scène une fois de plus ce dialogue entre passé et présent, d'une autre manière, dans cette sempiternelle quête pour corriger le passé, de rattraper le temps perdu, ce temps qui passe trop vite.

Soit dit en passant, Hans Zimmer n'avait pas menti. Sa partition change complètement de ces précédentes collaborations avec Christopher Nolan. L'artiste confère toute sa majesté au film en troquant les cordes pour l'orgue d'église, confinant l'expérience au divin. Parce que le divin, lui, est complètement absent de ce film célébrant la science et la rationalité. Et l'Homme est le seul capable de se sauver.

Brutalement honnête, empreint d'une certaine noirceur dans sa tristesse néanmoins contrebalancée par cette rage optimiste lancinante, au même titre que le poème de Dylan Thomas (un peu trop souvent) rabâché tout le long, Interstellar est d'une densité et d'une beauté, dans le fond comme dans la forme, absolument terrassantes.

StevenBen
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le 18 juil. 2023

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Steven Benard

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