Il y a un certain nombre de films qui ont démontré que l’ambition, visuelle et/ou narrative, est dangereuse, qu’elle pèche par un excès de confiance et de moyens. Il y a un très grand nombre de film [américains ?] attestant que les thématiques de l’amour, de la famille et de la justice transcendante sont des ingrédients systématiques d’une recette largement servie et qui s’apprécie pourtant à des degrés divers. Tout autant de considérations pouvant alarmer le spectateur en assistant à la projection d’Interstellar, qui s’inscrit bel et bien dans le contexte d’un blockbuster à (très) gros budget. Un film déjà consacré comme une œuvre majeure avant sa sortie et sa réception spectatorielle est un film qui suscite des attentes… Et que l’on attend au tournant.


Interstellar est un projet qui date. Boudé par Mr. Steven Spielberg himself et pas loin de devenir une arlésienne, il végète jusqu’à ce que Christopher Nolan reprenne le flambeau. Sur l’écran apparaissent pourtant rapidement les thématiques classiques chéries par la science-fiction made in Spielberg. La famille nucléaire fragilisée, les paysages grandiloquents d’une Amérique rurale, la justesse et la noblesse romantique de la quête du héros. Le personnage de McConaughey ne fait pas exception à la règle, son odyssée est autant motivée par l’amour des siens que de tous les hommes en général. Mais il est en définitive difficile de ne pas s’émoustiller devant celui-ci, qui nous propose une performance riche et singulière. À l’opposé de son rôle de nihiliste dans True detective, le personnage de Cooper est un humaniste crédible, doté d’une philosophie pragmatique à laquelle il est facile d’accrocher. In fine, Intersellar n’est pas novateur, mais il évolue et il s’émancipe d’un héritage cinématographique incontournable pour nous proposer un sujet traité avec une grande attention.


Maîtrise est le mot venant à l’esprit quand on évoque l’exploitation du scénario, complexe. Ce dernier se projette dans les méandres inconfortables entre les théories de la physique quantique et une véritable terra incognita. L’écriture d’Interstellar fait appel à des réalités scientifiques et matérielles, ainsi qu’à une certaine actualité des préoccupations humaines modernes. Le futur du film est proche, l’homme se tient en équilibre précaire entre son monde moribond et la limite du vaste cosmos en lequel il voit la solution de sa survie. Une solution qui lui est difficilement accessible, au prix d’énormes sacrifices et à l’issue définitivement incertaine. « Au-delà de cette capsule d’aluminium, c’est le vide total et il n’y a personne sur des millions de kilomètres ». C’est cet amateurisme courageux des pionniers qui « tâtonnent le terrain » à l’échelle de l’infini qui sert le mieux au film. Le cinéma se nourrit du réel et vice versa. En rendant son film le plus cohérent possible sur le plan scientifique, Nolan rapproche implacablement la réalité de son film avec la nôtre, rendant la projection et l’immersion d’autant plus efficace.


Rien ne nous indique l’époque à l’entrée du récit. Sur le plan visuel, pas de costumes futuristes, ni de véhicules clinquants, juste la poussière envahissant un paysage mourant qui nous est douloureusement familier. Sur le plan narratif, situer le récit s’opère par une agréable contemplation active de la part du spectateur, procédé hélas avorté par la suite. La mise en scène emprunte des directions multiples, avec des références éprouvées, mais efficaces, voire bienvenues. Vive les plans stellaires alourdissant de silence ! La ligne narrative que l’on suit dans Interstellar est, par certains aspects, inévitablement prévisible et calquée sur un développement qui ne s’émancipe absolument pas de ce que le genre de la science-fiction a pu produire depuis 2001 l’odyssée. Mais plus loin, la réalité de l’exploration spatiale et les enjeux métaphysiques du film se chevillent à l’échelle de l’humain, dans son rapport à un ennemi terrible, le temps. Ce travail du temps fonctionne comme mécanique dans le film. Le travail rythmique s’articule dans un montage parallèle crescendo « sauce Nolan » qui avait déjà prouvé son efficacité avec Memento et la trilogie de l’homme chauve-souris. Ce même travail parallèle apporte cependant un petit bémol, il faut bien accuser une légère redondance dans le langage adopté par Nolan dans ces œuvres. En résulte des erreurs de calcul, omniprésentes dans Inception, entre les espaces d’appropriation du récit par le spectateur, et une narration pragmatique fournissant un surnombre de clefs qui freinent donc la participation active de ce dernier.

N’en reste pas moins la qualité du traitement du sujet central ; l’Homme. L’Homme absolument seul et vulnérable dans ses désirs dérisoires d’expansion face à l’infini des étoiles. En témoignent les lignes d’orgues majestueusement lugubres composées et prescrites par le Dr. Hans Zimmer. L’Homme et son relativisme émotionnel, son ambivalence morale. L’Homme face à lui-même, à ses responsabilités. Le « Ils » du film, dans sa nature véritable, nous ramène inexorablement à cet élément central. Il n’y a pas d’autre réponse que celle que vous apportez, pas d’intervention extérieure, divine... Ce qui est le bienvenu, et ce qui inscrit Interstellar au registre des films clefs de 2014.

Ben_Ardent
8
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le 8 nov. 2014

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