Le « passage à l’ouest » n’est pas toujours sans dégâts collatéraux pour les cinéastes européens. Un certain Guillaume Canet en sait quelque chose, avec son anecdotique Blood Ties, à l’arrière-gout amer. Michaël Roskam, lui, sait s’offrir des avantages probants d’entrée de jeu. À commencer par un scénario de Denis Lehane (Mystic river, Shutter Island, The Wire, etc.), dont la carrière nous laisse présager une écriture de qualité. Le casting est tout aussi appétissant. Non seulement on retrouve Tom Hardy, Noomi Rapace et James Gandolfini dans les rôles phares, mais quelques second rôles provoquerons des haussements de sourcils chez les amateurs de séries made in america. Elisabeth Rodriguez troque son habit de détenue si seyant dans Orange is the new black pour l’uniforme policier et Ann Dwod, que l’on pouvait remarquer dans la série d’HBO The Leftover, s’inscrit également au casting. Si la présence du jeune comédien belge Matthias Schoenarts était un élément que l’on se devait de scruter, sa performance se révèle correcte sans toutefois tenir du coup d’éclat.
Quand vient la nuit est un film ambitieux sans en avoir l’air. Il gagne en qualité parce qu’il cherche à se singulariser plutôt qu’à s’harmoniser avec les attentes du grand public des films de genre. Sa réalisation, que l’on peut taxer de minimaliste sans avoir à en rougir, laisse des espaces d’exploration aux personnages dont l’évolution est le propos principal. L’approche est subtile. Elle fait écho au vrai polar, au noir. L’intrigue ne capitalise pas sur des twists à répétition ou sur un ficelage complexe. Le film ne prétend pas non plus renverser les fondations du film de gangster ; il les respecte avec une déférence qui est en définitive la bienvenue. Le talent du cinéaste, c’est ça. Réussir à construire une histoire cohérente et intense, tout en subtilité, et (la chose est rare), avec une certaine humilité.
L’atmosphère des bas-fonds de Brooklyn tisse la toile de fond du film. Pourtant, elle se limite au bar où se déroule le principal de l’action, quelques intérieurs de maisons, quelques rues pittoresques et panoramas. Et c’est très bien comme ça. Avec de petits riens, Michael Roskamp développe une tension grave et immersive, renforcée par une intrigue confinée dans un décor qui a de l’envergure, justement parce qu’il se limite à l’essentiel. Les personnages sont écrits à cette image, petits, mais intenses. Comme la puissance qui se dégage du simple et petit Bob, doux mais ambigu, interprété par un Tom Hardy qui étonne par la délicatesse de son jeu. Comme le cousin Marv, la petite frappe déchue qui est aussi le dernier rôle de James Gandolfini, qui fait merveilleusement contre-emploi de son Tony Soprano. La présence discrète d’une femme brisée (Noomi Rapace), faisant évoluer le film tout en nuance, renforce cette impression d’intensité contenue qui ne demande qu’à exploser. Les personnages luttent, contre leur univers, contre eux-mêmes. Ils cherchent à se repentir de leurs fautes passées, parfois de manière pathétique, mais toujours avec justesse. La rencontre de Bob et de son chien est un pivot du film, touchante et humaine, elle aidera le spectateur à prendre toute la mesure du titre de la nouvelle dont est tiré le film, Animal Rescue. The drop, dans son titre anglais, est un film absorbant. Il y règne quelque chose d’authentique. Le film devient menaçant à chaque instant, précisément comme un pitbull d’apparence calme, qui n’en reste pas moins prêt à montrer les crocs et à morde la main qui l’approche avec trop de naïveté.
En bref, pardonnons les faiblesses, comme l’inexploitation véritable du sujet des fameux drops, ces dépôts de paris sportifs illégaux, oublions les quelques maladresses de réalisation, dont on regrette parfois le manque d’audace. Regardons Quand vient la nuit pour ses qualités indéniables, laissant présager une carrière outre-atlantique de qualité pour Michaël Roskamp et un cinéma non dénué d’intérêt en perspective.