Les frères Nolan n'en sont pas à leur premier essai avec Interstellar, leur travail sur ce film est donc un peu plus mature. Quoiqu'il en soit, le projet de ce film n'a pas pour origine la famille Nolan. Bien que le réalisateur joue un rôle majeur, je pense qu'on l'idolâtre parfois un peu trop, au détriment de tous ses collaborateurs, souvent dans l'ombre. C'est particulièrement le cas pour ce projet dont on doit la genèse à Lynda Obst.
Lynda, productrice d'Hollywood à partir des années 80 (Flashdance), a eu une relation amoureuse infructueuse avec Kip Thorne, physicien émérite spécialiste des trous noirs. Cette rencontre à Los Angeles sera à l'origine d'une forte amitié entre ces deux personnes.
C'est en 2005 que, Lynda, voulant produire un nouveau film de science fiction, en discuta lors d'un dîner à Kip en vue d'une collaboration fructueuse cette fois-ci. Dès le départ, il s'agissait d'y inclure une forte composante de science : "Le plus important pour moi était notre vision d'un blockbuster fondé dès le début sur la véritable science. La science, à la limite et au delà des frontières de la connaissance des Hommes. Un film dans lequel, le réalisateur, les scénaristes, les producteurs respectent la science, en s'inspirant d'elle, jusqu'à son omniprésence dans tous les aspects de la fabrication du film. Un film qui donne envie à une large audience de s'intéresser à la science, et même pourquoi pas à y faire carrière.", Kip Thorne.
Il aura fallut neuf ans pour aboutir au résultat que nous en avons. Interstellar a bien faillit ne pas se réaliser à plusieurs reprises et pour bien des raisons. A l'origine, le réalisateur Steven Spielberg souhaitait réaliser ce projet ambitieux. Cela n'a pu se faire à cause d'un problème contractuel entre Spielberg et la Paramount. Ainsi, pour les deux amis et associés depuis l'origine, s'enchaînent les hauts et les bas, l'espoir et la déception.
Et puis ce fut la délivrance avec la reprise du projet par Christopher Nolan, après deux ans et demi de latence pendant lesquels Christopher réalisait d'autres projets. Il aura fallut un accord extrêmement complexe entre les studios de la Warner et Paramount, accord enfin signé en 2012, deux ans avant la sortie du film. Reprenant les premiers travaux de son frère sur le sujet, Christopher Nolan s'approprie le scénario, permettant ainsi au rêve de Lynda et Kip de se concrétiser. Chris allant jusqu'à incorporer des données scientifiques de lui-même, à la plus grande surprise de Kip.
Collaboration avec Kip Thorne
Par la suite, Kip fut fortement impliqué dans la conception des effets visuels du film. Ainsi la modélisation du trou de ver et du trou noir Gargantua fut le fruit d'une longue collaboration avec Paul Franklin, à la tête d'une société de quelques 1200 employés spécialisés dans les effets visuels et ayant pour expérience les effets visuels d'Inception, notamment.
Kip Thorne a d'ailleurs eu l'occasion de rencontrer les acteurs principaux, enrichissant ainsi la connaissance en matière de science de ces derniers. Cette préparation au rôle de Cooper, par McConaughey, lors d'une discussion d'homme à homme dans un hôtel de L.A. mit Kip, selon ses propres mots, dans un état d'euphorie. Of course, lui confia Lynda, qui avait collaboré avec Matthew sur pas moins de trois films auparavant. Anne Hathaway, elle aussi, posa toute une série de questions à Kip, la plupart d'entre elles étaient très techniques, ce qui surprit le physicien. Elle confia d'ailleurs à Kip son côté un peu "physics geek".
Une BO magistrale
Si pour 2001: l'odyssée de l'espace, Kubrick a choisit d'accompagner son propos de musique classique, Nolan a quand à lui préférer se fier à un homme qui n'a plus grand chose à prouver dans son domaine : Hans Zimmer. Et ce n'est pas pour nous déplaire. Zimmer, souvent accusé d'auto-plagiat pour de grosses productions, il a ici été confronté à un nouveau défi. Il a tout simplement choisit de quitter sa zone de confort comme il le dit lui-même : "Il est temps de tout réinventer. Les ostinatos doivent passer à la trappe et les grosses percussions iront probablement à la poubelle."
Pour la composition, Nolan refusa de montrer le scénario à Hans Zimmer. A la place, Chris lui donna une courte fable écrit sur une courte page, décrivant le rêve (dans la vraie vie) de son fils de 16 ans de devenir un grand scientifique. Hans a ensuite composé en une seule journée ce qui constitue le thème du film, autrement dit, la base riche en émotions car très personnelle.
Peut-on raisonnablement imaginer, après coup, Interstellar, sans sa mélodie magnifiée par le son de l'orgue ? Le choix de l'orgue n'est d'ailleurs pas anodin comme le prouve les propos d'Hans Zimmer :
"L'orgue a longtemps été l'instrument le plus compliqué inventé par l'homme, jusqu'à l'invention du téléphone. Alors on s'est dit : si on doit célébrer la science, nous allons célébrer l'orgue."
Une fois encore, on retrouve les motivations de la genèse d'Interstellar.
La physique d'Interstellar
La physique est le moteur qui a donné naissance au film. Autour de ça, il y a toujours eu un débat entre ceux qui prétendent que la physique du film est correcte ou non dans son ensemble. Ce débat n'a selon moi pas lieu d'être. Certaines composantes du film sont spéculatives, d'autres relèvent du niveau de connaissance actuelle des sciences. Kip Thorne classe en trois grands statuts la science du film :
- Vérité
- Approximation valable
- Spéculation
Pour vous donner un aperçu des connaissances scientifiques impliquées, voici ci-dessous une liste des composantes scientifiques décrites en profondeur par Kip Thorne dans son livre intitulé The science of Interstellar :
- Dilatation du temps et de l'espace et gravité marémotrice ( Vérité )
- Trou noirs (Vérité)
- Masse de Gargantua (Vérité)
- Spin de Gargantua (Spéculation)
- Anatomie de Gargantua (Vérité)
- "lance-pierre" gravitationnel (Vérité)
- Imagerie de Gargantua (Vérité)
- L'accident est la première pierre de l'évolution (Vérité)
- Les catastrophes sur Terre (Speculative)
- En quête d'oxygène sur Terre (Spéculative)
- Distance des plus proches étoiles (Vérité)
- Temps de trajet avec la technologie du XXIe siècle (Vérité)
- Technologie du futur très lointain (Approximation valable)
- Fusion thermonucléaire (Approximation valable)
- Rayon laser et navigation de la lumière (Spéculation)
- "lance-pierre" gravitationnel dans un trou noir binaire (Spéculation)
- Trou de ver de Flamm (Vérité)
- Effondrement du trou de ver (Vérité)
- Traverser le trou de ver (Vérité)
- A quoi ressemble un trou de ver traversable (Approximation valable)
- Est-ce que les trous de ver peuvent exister naturellement, en tant qu'objet astophysique ? (Spéculation)
- Est-ce que les trous de ver ont pu être créé par une civilisation extrêmement avancée ? (Spéculation)
- Découvrir le trou de ver : ondes gravitationnelles (Vérité)
- Planète de Miller (Vérité)
- Vibration du trou noir Gargantua (Vérité)
- Planète de Mann (Vérité)
- Le vaisseau Endurance (Vérité)
Et puis, ça se complique... :
- Le temps en tant que quatrième dimension (Vérité)
- The Bulk (Approximation valable)
- La 5ème dimension (Approximation valable)
- 2D Brane et 3D Bulk (Vérité)
- Des êtres du Bulk passant dans notre 3D Brane (Vérité)
- La nature des êtres du Bulk et leur gravité (Approximation Valable et Spéculation)
- Les êtres du Bulk dans Interstellar (Spéculation)
- Le trouble dû à la gravité dans un espace à 5 dimensions (Approximation valable)
- Is Out-back curled up ? (Approximation valable)
- Out-back: The Anti-DeSitter Warp (Approximation valable)
- Ads Sandwich : de nombreux espaces dans le Bulk (Spéculation)
- Danger : Le Sandwich est instable (Spéculation)
- Traverser le sandwich (Spéculation)
- Anomalies gravitationnelles observées dans l'espace (Verité)
- Anomalies gravitationnelles dans Intersellar (Spéculation)
- L'équation du professeur (Spéculation)
- La primauté des lois quantiques (Vérité)
- Singularités : le domaine de la gravité quantique (Vérité)
- Singularités nues (Approximation valable)
- Singularité BKL à l'intérieur d'un trou noir (Approximation valable)
- Singularités indéfectibles et périphériques dans un trou noir (Approximation valable)
- Aux bords du trou noir (Vérité)
- Au travers l'horizon des événements (Vérité)
- En sandwich entre deux singularités (Approximation valable)
- Tesseract (Vérité)
- Cooper sauvé par le Tesseract (Spéculation)
- La vue de la chambre de Murphy à partir du Tesseract (Spéculation)
- Le Tesseract complexifié de Nolan (Spéculation)
- Envoyer des messages à Murph (Spéculation)
- Voyage dans le temps avec un Bulk (Spéculation)
- Toucher Brand à travers la 5ème dimension (Spéculation)
- Colonies hors de la Terre (Spéculation)
Alors bon, ceux qui prétendent que toute la science du film est expliquée dans les dialogues, et bien je leur suggère d'approfondir le sujet. Les dialogues sont un peu la partie émergé de l'Iceberg.
Et malheureusement, l'émotion ne peut véritablement apparaître chez le spectateur s'il ne prend pas la mesure des implications de la théorie de la relativité d'Einstein. Si, par contre, le spectateur adhère à la vraisemblance du scénario, s'il accepte le principe de la dilatation temporel, il ne peut rester insensible lors des scènes clés du film. Il ne peut par ailleurs cesser d'être ému à la réécoute de la bande originale composée de main de maître par Hans Zimmer. C'est probablement pour ces raisons qu'Interstellar s’embellit au fil du temps.