Est-ce important de se demander si ce film est surestimé?? Probablement pas...


Je ne commencerai pas non plus ma critique par dire : "Tout a été dit sur ce chef d'oeuvre". Car cela serait un piètre hommage, presque insultant pour un film de ce calibre. Ce film mérite mieux.


Oubliez donc vos à priori, et mettez-vous à la place d'un homme perdu s'il en est. Même le plus absurde, le plus terrible des psychopathes a ses raisons. Des raisons qui lui sont propres, ne justifiant en rien ses actes. Peut-on en effet accepter encore aujourd'hui qu'un homme déchaîne tant de violence contre sa femme, son frère et plus encore?
Peu importe la raison, est-ce acceptable?


Mais alors comment ne pas générer des sentiments forts à l'égard d'un personnage, d'une personne, qui a réellement existé? Lui qui n'est au final qu'un homme qui s'acharne eperdument contre tout ce qu'il entoure. Lui qui deverse sa haîne dans chaque combat en cherchant à tous prix la reconnaissance. C'est en fin de compte l'histoire d'un homme qui a voulu marquer l'histoire à sa manière, coup après coup. Encaissant toute sa vie les coups durs inlassablement, déterminé à restez debout, jusqu'au bout. Cette histoire est bel et bien réelle. Le réalisateur doit-il pour autant rester fidèle à la réalité? Doit-il l'atténuer pour plaire au plus grand nombre?


Outre la démesure de la vie de Jake la Motta, il me tient à coeur de présenter les relations humaines à l'origine d'un tel chef d'oeuvre du 7ème art. Car l'histoire derrière ce film est passionnante. Oui, passionnante. N'en déplaise aux détracteurs de Marthy, ce réalisateur de génie à la marge d'Hollywood. Croyez-moi, ce n'est probablement pas sans raisons que les critiques américains ont élu ce long métrage comme le meilleur film de la décennie en 1990...


Admis à l'hôpital en 1978, Scorsese est alors un homme perdu. En proie au doute, il hésita longuement quand à la réalisation de ce film. Cependant, il a vu en Jake La Motta : "le reflet de ses propres penchants autodestructeurs" (Citation issue du livret sur l'histoire du film fourni avec l'édition collector en dvd). Déjà très proche de Robert de Niro, le duo gagnant décide naturellement de construire ce qui va devenir l'une des biopics les plus frappantes de l'histoire du cinéma. Le duo ne fait plus qu'un et nous pouvons même parler d'alter ego de Scorsese quand il s'agit de voir à l'oeuvre Robert de Niro.


D'ailleurs Robert de Niro, c'est aussi son film. Son chef d'oeuvre. Et je pèse mes mots. C'est manifestement lui qui proposa en 1973 à Martin Scorsese la biographie de la Motta, "Raging Bull". De Niro a alors tenté de convaincre Scorsese pendant cinq années, sans succès. Imaginez alors la motivation d'un acteur dévoué de tout son corps à ce rôle qui lui colle à la peau, ce rôle qu'il a tant voulu. Car non, ce n'est clairement pas simplement un "job", ni un casting de plus dans la carrière d'un acteur en quète de célebrité. De Niro est clairement un passionné, un acteur de grand talent. Sa motivation est telle qu'il harcèle Scorsese, le forçant même à lire les premiers jets du premier scénario.


Ce n'est que "lorsque la santé de Scorsese prend une tournure presque fatale que le réalisateur commence à se concentrer sérieusement sur le film". C'est alors que les deux hommes contactèrent le très bon scénariste de Taxi Driver : Paul Schrader. Même si au final, c'est la version de Scorsese et De Niro qui sera choisie. C'est un projet difficile à réaliser. Chacun y met son grain de sel.


L'échec commercial de "New York, New York" pese encore lourd dans les consciences, si bien que le scénario remanié semble anti-commecial pour les exécutifs d'United Artists. L'idée de faire ce film en noir et blanc n'aide pas non plus à convaincre tout ce beau monde. Heureusement, les producteurs se sont servis de "Raging Bull" comme ultimatum à la production de Rocky 2, suite de l'énorme succès commercial du premier volet de la série. Ouf! Scorsese décidément à bout de souffle, prendra alors la décision de réaliser ce film tout en pensant qu'il serait son dernier. Fort heureusement pour nombre de cinéphiles, ce ne fut pas le cas :).


Alors que le projet se concrétise, De Niro entame une année entière de préparation sous la tutelle du Raging Bull en personne. Autant dire que le dévouement est total puisque après plus de 1000 rounds Jake a considéré que De Niro aurait pu passer boxeur professionnel. La determination de Robert se lit d'ailleurs aussi bien dans ses yeux sur l'affiche du film que par ses actions sur le ring.


Dérrière le personnage, il se cache un homme qui en veut! Sur le tournage, De Niro est là de tout son corps. Se forçant même à prendre 30Kgs. Oui, 30Kgs! Rien que ça. Ceci pendant les 4 mois qui suivirent le tournage de la descente aux enfers de Jake la Motta face à son grand rival Sugar Ray Robinson. Bosseur et impliqué, De Niro souffla même quelques répliques improvisées pour son ami, Joe Pesci. Notamment dans la scène de réparation de la télévision précédant le déchainement de violence d'un homme n'ayant manifestement pas encore digéré sa dernière défaite.


Au delà de ça, la gente féminine n'est pas en reste puisque Cathy Moriarty nous livre une prestation remarquable. Les journaux titreront même dès 1981 : "The Raging Success of Cathy Moriarty". J'ai traduit et résumé un passage amusant de cet article dans le Rome News Tribune :
Mes amies et moi sommes allées à un concours de beauté en maillot de bain dans un bar de New York. J'y suis allée pour rire. Mais à ma grande surprise j'ai gagnée le 1er prix du concours et j'ai déclaré : "That's very funny !". Un Italien est ensuite venu me voir pour me demander une photo de moi. J'ai accepté et ce même gars m'a appelé trois semaines plus tard! Il disait s'appeler Joe Pesci et me demanda si j'accepterai de faire partie de ce film à propos d'un boxeur nommé Jake La Motta. Il disait que Robert de Niro est la star du film. J'ai alors répondu : "Okay, mais c'est qui?". Il m'a alors dit qu'il était dans "The Godfather". Cela ne m'a pas plus avancé et j'ai finalement déclaré : "Fichtre, je vais bien voir si ces gars ont le niveau".


Raging Bull, c'est aussi la découverte de Joe Pesci par Martin Scorsese. Un acteur de talent qui donne une toute autre dimension à deux autres chefs d'oeuvre de Marthy : Casino et Good Fellas. Ainsi, Pesci se révèle grâce à l'aide de la star de Mean Streets et Taxi Driver : Robert de Niro.


Côté réalisme, Marthy et son équipe ont tout donné. A tel point que les scènes de combats ont été reproduites à l'identique, sur la base des diffusions télévisées de l'époque. Jake la Motta le confirme lui-même dans le making of. C'est hallucinant. Chaque coup, l'un après l'autre, a été reproduit fidèlement. La position des acteurs sur le ring ainsi que la manière dont les protagonistes tombent n'ont pas non plus été négligés.


L'entrée en matière est magistrale. La musique choisie par Scorsese est fortement inspirée de son enfance dans les rues de New York, Little Italy. Elle donne clairement le ton, introduisant à merveille le boxeur au peignoir léopard, virevoltant, prêt à lacher le fauve qui est en lui.


La vérité est dur, mais la vérité est belle. Aussi dur soit-elle, elle est irréfutable.


Je me permet de terminer cette critique par une citation :


L'idée était de faire un film sincère et honnête, sans concession ni pour le public, ni pour le box-office. Je me suis dit: "Ça y est, c'est la fin de ma carrière. C'est mon dernier film."

- Martin Scorsese

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le 3 juin 2015

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__ Supernuva

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