Into the Abyss par FrankyFockers
Lorsque Herzog débute sa discussion avec Michael Perry, il le prévient : il ne se sent pas obliger de l'aimer, néanmoins il va le considérer comme un humain. Parce qu'il est humain, il a droit à la vie. Herzog ne le juge jamais, et propose pendant tout le film un champ/contre-champ entre les assassins et les familles des victimes. Sa position se veut centrale, et il ne veut pas juger. Sauf que, lorsqu'il s'entretient avec Perry, ce grand ado à la tête de Jim Carrey mal dégrossi, une vitre de sécurité les sépare. Et, alors qu'il filme le visage de Perry, le propre visage d'Herzog réfléchit dans la vitre et vient se superposer à celui de l'assassin, en épousant presque les traits. Ce détail sans doute involontaire est saisissant puisqu'il résume tout le travail du cinéaste. Traquer la bête, l'individualiste ultime, le hors-norme (il a cela en commun avec Kubrick), et se mettre à sa place, le regarder de l'intérieur, en faire un alter ego, non pas pour le défendre ou justifier ses actes, jamais, mais pour être en dedans du sujet qu'il filme. Tout son travail avec Kinski, c'est ça, par exemple.
C'est saisissant ici, car c'est un documentaire, ce n'est sans doute pas fait exprès, et c'est un vrai monstre (qui semble pourtant si inoffensif).
Certaines choses me touchent moins dans ce beau film, mais il y a en a deux totalement bouleversantes. Le père de Jason Burkett, qui aura passé sa vie en prison et qui voit son fils faire de même, qui est en prison depuis si longtemps qu'il en perd la notion du temps et pense sérieusement que dans 30 ans, la date où son fils sortira de prison sera 1941.
Et puis, plus encore, il y a ce visage de Perry - avec ou sans le reflet d'Herzog. Aujourd'hui, cet homme est mort. Il est mort quelques jours après qu'Herzog l'ait filmé. Et Herzog nous dit simplement mais de manière fondamentale à quoi sert le cinéma. Garder, conserver, enregistrer, retranscrire un visage, une voix, un sourire. Et fixer à jamais l'impermanence des choses.