A travers une première séquence où l’on voit un prête s’émouvoir de la mort d’écureuils qui symbolise à ses yeux la fragilité de la ligne de vie, Herzog nous enfonce dans une Amérique tragicomique un peu bipolaire où la folie humaine se confronte à la droiture d’une justice cynique. Into the Abyss est une odyssée périlleuse vers les fins fonds de l’Amérique. Une crise sociale qui frappe de plein fouet un mal psychologique effroyable, à l’image de la femme de l’un des deux criminels, Jason Burkett. Une situation presque burlesque et absurde qui fait froid dans le dos. Elle l’a rencontré en prison. Elle n’a pas le droit de le toucher (sauf les mains) et pourtant elle est enceinte, référence à des irrégularités pénitentiaires. Elle finira par nous montrer une photo de l’échographie de son enfant, qui malheureusement sera un polaroid monstrueux.
Werner Herzog n’en est pas à son premier documentaire. Ici est mis en lumière le récit d’un triple homicide s’étant déroulé il y a une dizaine d’années. Jason Burkett et Michael Perry vont tuer trois personnes pour une simple histoire de voiture. Misère sociale, désert affectif, chute presque irréversible vers un mal inévitable, Into the Abyss essaye de comprendre cette affaire et la solution définitive qu’est la peine de mort. Le dispositif cinématographique est simple, archaïque, le début du documentaire est une simple reconstitution des faits aidée par des vidéos prises sur place par la police aux moments du crime. Tache de sang, cadavre, une atmosphère glaçante s’immisce.
Herzog avec une étrange neutralité pointe son regard sur la mort. Mais il se permet de donner son avis comme lors sa première rencontre avec Michael Perry, où il lui annonce qu’il ne l’aime pas mais qu’il ne souhaite pas son exécution étant contre la peine de mort. La méthode Herzog faite d’interrogatoire avec les différents protagonistes de ce fait divers est pernicieuse, entre voyeurisme émotionnel à l’Américaine (les membres des familles qui montrent les photos des défunts) et questionnement acerbe (le déni presque effroyable de Michael Perry préférant se cacher derrière la religion pour ne pas avouer son crime) est un peu trouble notamment vis-à-vis des intentions du réalisateur.
Ce format de questions réponses met des mots sur des sentiments qui englobent un patchwork indicible qui représente à elle seule la fêlure du rêve américain dans son ensemble, une iconisation personnifiée d’un vide, sans relief à l’image de ses grandes autoroutes qui vont on ne sait où, ses grandes plaines sans relief qui renferment des ruines immobilières et humaines. Les plans fixes sont longs, parfois trop, dans une volonté d'accuenter un misérabilisme jamais surfait comme lors cette entrevue avec le père de Jason Burkett. Ce qui marque, c’est que derrière une restitution des faits dans leur chronologie et dans leur temporalité, Herzog essaye d’y encombrer de l’humain là où il n’en aurait pas forcément. Son montage laisse aussi planer une amertume, une désillusion aigre douce à travers les visions environnementales de cette bourgade perdue dans les profondeurs du Texas.