Nous sommes désormais tellement "dopés" aux rebondissements ininterrompus, aux scènes gore et aux "twists finaux" qu'il nous est difficile de nous réadapter à un "film policier" - comme on disait avant que le terme de thriller ne s'impose, confirmant que l'objectif principal de ce cinéma-là est devenu la génération de frissons et d'excitation à bon compte - qui ne nous compte que sur le déroulement d'une enquête (deux en fait, ici, en parallèle...) et sa résolution, pour nous captiver. Rien que du pur classicisme donc, voilà ce que nous propose cette "Intuition" argentine, qui suit un couple de flics nouvellement constitué, entre vétéran génial mais démoli physiquement par un drame personnel et débutante anxieuse d'apprendre du meilleur, mais forcée par sa hiérarchie à jouer "contre son propre camp".
"Intuition" ne démarre pas très bien, avec une longue scène d'exposition à la fois remplie de clichés (encore une traque de serial killer !) et confuse, une scène qui inquiète quant à la suite. Heureusement, le film trouve rapidement son rythme - une narration rapide, mais un filmage plutôt précis - et sa tonalité - froide, comme indifférente aux tourments des personnages. On sait que le cinéma d'auteur argentin a développé un style bien à lui, mélange de distanciation vaguement aliénante et de rudesse, et on retrouve certaines de ses qualités dans ce film "mainstream", produit par Netflix, qui sait garder une vraie élégante et ne sombre dans aucun excès : entre le jeu visiblement bridé des acteurs et la précision des cadrages et de la mise en scène, "Intuition" ne manque pas d'allure. Il est clair toutefois que cette approche se fait au détriment de notre empathie vis à vis des personnages, et que le film, très cérébral finalement, presque théorique, pourra laisser pas mal de spectateurs en plan...
Si la presque "simplicité" de la résolution - parfaitement crédible - des deux enquêtes surprend, et est finalement à porter au crédit du scénario du film, Alejandro Montiel, à la fois scénariste et réalisateur de "Intuition", se tire une balle dans le pied en bâclant de manière peu claire l'un de ses intrigues (les rapports entre la police et une bande de trafiquants de pièces détachées automobiles...) à la faveur d'une scène de fusillade qui frôle le ridicule.
Le bilan de "Intuition" est donc mitigé : on est devant un « film policier » assez générique – qu’il soit argentin est finalement un détail sans grande importance – qui fonctionne plutôt bien, mais on déplorera la faiblesse de la partie « humaine », et que les drames qui se sont joués sous nos yeux n’aient pas été mieux traités par un scénario qui s’est concentré sur les faits au détriment de leur impact.
Signalons enfin aux amateurs de cinéma argentin que "Intuition" est le prequel du précédent film de Montiel, "Perdida", qui avait été beaucoup moins bien accueilli que celui-ci, et que Joaquín Furriel, convaincant ici, était également au casting de l'intéressant "El Hijo" l'année dernière.
[Critique écrite en 2020]
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