DU BIWA EN BOUCLE
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INU-OH, c’est un mille-feuilles. Pas le modèle classique avec la pâte feuilletée, en six étapes de pliages en trois, composée de 729 paires de feuillets…non, carrément la verrsion André Guillot, en 2048 paires !! Couleurs arc-en-ciel, saupoudré de poignées de paillettes, sans que cela soit écœurant pour autant.
Une gourmandise cinématographique, que l’on peut dévorer à grandes enfournées de fourchette ou bien, au contraire, décortiquer couche par couche pour en découvrir tout le travail, la subtilité, le génie créatif.
A l’origine, il y a le plus grand classique de la littérature japonaise, LE DIT DES HEIGE (ou LA GESTE DES HEIKE ou LA GESTE DES TAIRA), ouvrage de 1371 rédigé par un collectif de près de 900 pages dans sa version traduite. Ces auteurs ont compilé des chansons de biwa hoshis, des musiciens aveugles jouant la plupart du luth et qui relataient la lutte entre les clans Minamoto et Taira au XIIe siècle pour le contrôle du Japon. Des histoires entremêlant réalité et fiction – avec quelques épisodes incluant des êtres surnaturels, futurs yokais (fantômes) dans la mythologie et le folklore japonais.
Dans les années 2010, un éditeur va approcher Hideo Furakawa, écrivain contemporain japonais le plus en vogue au pays du soleil levant et passionné de la littérature classique, pour lui proposer de procéder à une nouvelle traduction de LA GESTE DES HEIKE. Furakawa va passer des années à élaborer une version modernisée et plus adaptée à notre langage actuel.
Cela va lui inspirer l’idée de perpétuer l’idée même de LA GESTE DES HEIKE : à savoir puiser dans les tréfonds de la mythologie nipponne pour imaginer un récit légendaire avec un soupçon de moral adapté à notre époque – à l’instar des biwa hoshis de l’époque. Et pour ce faire, il va même intégrer ces musiciens aveugles au récit – et questionner leur place dans la société japonaise de l’époque, en tant qu’êtres humains, marginalisés par leur handicap, mais tout de même intégrés par leur pouvoir de séduire les foules par leur talent artistique – et questionner au-delà le statut même d’un artiste dans la société. Car il n’a pas toujours eu la vie facile, en tant qu’écrivain « moderne », qui a passablement chamboulé la littérature contemporaine et est encore fréquemment exposé aux critiques pour aller à l’encontre de certaines valeurs et manières de faire traditionnelles avec son style et ses idées novateurs.
En résulte un essai, LE ROI CHIEN (Ed. Picquier). Un ouvrage pas facile pour celle / celui qui ne serait pas familiarisé avec LA GESTE DES HEIKE, la mythologie japonaise et la réflexion de l’artiste – mais absolument passionnant à lire, relire et encore re-re-lire.
Un ouvrage auquel s’est attaqué le réalisateur le plus punk de l’animation japonaise, Masaaki Yuasa. S’identifiant totalement à la démarche de Furakawa, Masaaki va s’approprier le matériau original pour questionner à son tour sa position d’artiste « indépendant » dans le milieu terriblement cloisonné de l’animation japonaise commerciale et formatée. INU-OH en sera le résultat.
Et Masaaki va pousser la réflexion encore plus loin, en collaborant avec Avu-chan. Cet/te artiste est un peu le pendant japonais du personnage de Hedwig du film culte HEDWIG AND THE ANGRY INCH. Un croisement de David Bowie, période Ziggy Stardust et Freddy Mercury, qui ne cesse de jouer de son identité pour questionner directement l’identité sexuelle. En prêtant voix (dans la version originale) à Inu-Oh, elle donne encore une dimension supplémentaire à l’identité d’Inu-Oh. Passionnant.
En résulte un opéra-rock totalement incroyable, auquel on ne comprend rien au premier abord, qui entraîne le spectateur dans un tourbillon d’images, de sons et de sensations, auxquels certain/e/s resteront totalement insensibles et d’autres totalement rincé/e/s. Le film est d’une poésie folle, de dimensions infinies, d’un génie créatif absolu. Liant l’art à la vie, musique au cinéma, le passé au présent, le Japon à l’univers, l’homme à ses origines.
Un film beau à cré(v)er.
Créée
le 18 nov. 2022
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