- Agonisant sur le toit d'un immeuble, John Nada tend un doigt d'honneur en guise de dernière parole. Un doigt d'honneur aux flic qui l'ont abattu, un doigt d'honneur au relais télé qu'il vient de bousiller, un doigt d'honneur aux années Reagan. Si la main que l'on voit est celle de Roddy Piper, le fuck adressé est bien celui de John Carpenter. En filmant les pauvres, les laissés-pour-compte, les sans-abris de Los Angeles il filme ce qu'Hollywood ne veut pas montrer. Des exclus que la brutalité policière tente de faire plier, comme lors de cette séquence de rafle sans équivoque. Des mécréants que l'on essaye d'hypnotiser avec les diktats de la pub, de la télé, de l'argent, des conventions sociales, de la réussite inaccessible. Autant d'instruments d'oppression au service d'un pouvoir fasciste d'autant plus insidieux qu'il est invisible. Carpenter film une Amérique sourde, muette... soumise. En gardant toujours en point de fuite le centre de L.A. et ses ostensibles buildings il lance un avertissement, celui qu'à force de brimades et de privations la masse finira par se réveiller. Un réveil violent, qui ne pardonnera pas.
Toujours aussi remonté par son expérience douloureuse avec les gros studios sur le tournage de Jack Burton, Big John poursuit sur la lancée du Prince des Ténèbres avec un film vindicatif et hargneux. Hargneux comme cet éprouvant combat de rue entre deux frères de galère montés l'un contre l'autre par la propagande et l'ignorance. L'heure n'est plus aux poings dans la gueule, c'est à grand coup de latte dans les couilles que Carpenter veut réveiller les gens.
- Los Angeles est bouclé pendant plusieurs jours, le LAPD étouffe dans le sang les manifestations des quartiers sud, l'armée est mobilisée pour contenir la situation. Soixante morts, quatre mille arrestations... nous ne sommes plus dans la fiction mais dans la réalité. Bien sûr John Carpenter n'avait pas prédit le passage à tabac de Rodney King, pas plus que Fritz Lang n'avait prophétisé l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Néanmoins il est difficile de nier qu'au delà de la provocation et de l'envie d'en découdre avec le système, John Carpenter touche à une certaine réalité du rêve, ou plutôt du cauchemar, américain en utilisant la science fiction comme véhicule... tout comme Fritz Lang l'avait fait en utilisant le Film Noir pour dépeindre une Allemagne au bord du gouffre en 1931. Les vrais maîtres ne font jamais les choses par hasard.
They live (le titre anglais rend tellement plus justice au film) est un morceau de pellicule bourré d'énergie et d'idées, même si elles ne sont pas toujours les plus subtiles du monde. Eclater des banquiers au shotgun est une méthode un peu primaire mais le symbole est sans doute plus fort encore. Privé de budget, privé de star, privé du soutien des puissants d'Hollywood, John Carpenter est pourtant plus vivant que jamais avec cet authentique brûlot politique dont l'écho continue de résonner aujourd'hui encore.