Coincé dans le couloir de mes étroits souvenirs (critique à lire à l'envers)

En bref : « Irréversible », film polémique, a déjà vieilli. Il n’empêche qu’il reste prenant, et un cas d’école de la manipulation qu’un film peut exercer sur un spectateur. Il suffit de voir toutes les anecdotes qui circulent sur les visionnages de ce film : chacun l’affronte à sa manière. Et c’est en cela qu’il redéfinit, l’air de rien, la conception de réception du propos d’un long-métrage.


Autre problème de la mise en scène, c’est toutes les scènes « heureuses » sur la fin. Le souci, c’est que toute l’horreur est passée, et le spectateur est quasi immunisé, paré à voir ce que Noé peut lui proposer d’insoutenable. C’est pour ça que toute la dernière demi-heure, il se fera chier comme un rat mort. D’un coup, Noé n’a plus rien à dire, plus grand-chose à montrer non plus, et hormis les acteurs et la photographie, il ne se passe plus rien d’intéressant. Je retiens notamment la séquence dans le métro : entre Belluci qui répète 5 fois « Tu réfléchis trop », Cassel qui semble s’ennuyer ferme, et surtout cette discussion tellement beauf et inintéressante qui fascine par son inutilité absolue, cette scène est un bel exemple que l’improvisation ne paie pas toujours. Et que, parfois, le réalisme peut s’abstenir sur certaines situations, parce que leurs histoires de cul, franchement, qui s’en fout ? Cependant, le dernier plan, avec cette utilisation si particulière de Beethoven, est vraiment joli.


La mise en scène, avant la scène du viol, n’a aucune excuse. C’est dégueulasse. La caméra bouge n’importe où, et ce pour une raison très simple : pour simuler le plan séquence. Hitchcok, dans « La Corde », faisait par exemple rapprocher un acteur très rapidement sur la caméra, pour pouvoir la couper et reprendre à l’endroit exact où il s’était arrêté. Ici, on pointe l’objectif sur le plafond pendant 5 secondes, puis on la rabaisse. C’est moins subtil, on va dire… Et autant l’image dans le Rectum, rougeâtre, est classe, autant des fois la couleur rend l’image irregardable.


Seulement voilà… A côté, il y a quoi ?


En autre gros point positif que je mettrais au film, c’est son casting. On ne verra plus jamais Dupontel de la même façon après ça ! Vincent Cassel, sauvage, rôle sur mesure, excelle. Je n’ai vu en aucun cas du surjeu dans sa prestation, seulement un mec ivre de rage et de l’opium de l’Homme, c’est-à-dire l’Oubli. Belluci tire aussi son épingle du jeu, permettant enfin de montrer à quel point elle peut embarquer les gens dans un long métrage. Donc, niveau ambiance et acteurs, j’ai rien à dire. C’est pour ça, j’en suis sûr, que le film a fait fondamentalement parler de lui.


Je pense aussi que l’autre raison de son impact sont les effets spéciaux. Ils sont invisibles, littéralement. J’ai l’impression qu’il y a des magiciens qui sont passés sur le plateau pour leur apprendre des tours. Que ce soit le coup de l’extincteur ou la violence après la fameuse scène, ça gicle naturellement et l’illusion est parfaite. Je pense que c’est surtout ça qui a provoqué nausées et tout le tralala, parce que bon, pour en finir sur mon opinion à propos de la scène de viol, regardez celui d’« Il était une fois en Amérique » : je le trouve carrément plus glauque et choquant que dans « Irréversible ». Pourquoi ? Dans le premier, on voit les vrais détails (c’est-à-dire tout ce qui est génital et nu), ce sont des personnages qui se connaissaient déjà, les cris ne sont pas étouffés, il y a même des larmes coulées, et la femme s’oppose vraiment malgré son impuissance. Dans le deuxième, on voit tout juste des seins et une incrustation moche de pénis, les cris sont étouffés (malgré leurs horreurs saisissantes, bien entendus), elle est retenue et elle se soumet directement. Bien sûr, c’est pour une question de réalisme (LE maitre mot du film), et la peur paralyse, surtout si elle est d’ordre sexuel. Mais, au risque de passer pour un sadique, la scène de l’extincteur m’a bien plus horrifié et mis mal à l’aise que cette scène. Ça n’enlève en rien sa qualité d’immersion, étant la première séquence à poser sa caméra.


On commence « Irréversible » en sachant toujours son statut, de film polémique, qui peut éveiller tous les avis, cependant un constat demeurera dans l’histoire du Festival de Cannes : il laisse personne indifférent. Mais, justement, à l’époque de la violence banalisée sur les écrans, à l’époque où le sexe est de plus en plus avenant dans les médias, quelle place peut bien occuper ce film aujourd’hui ? En 2002, les réseaux sociaux n’existaient même pas ! S’il ressortait aujourd’hui, je ne pense pas que ce serait pour le viol qu’il choquerait. Il choquerait encore, certes, il bousculerait toujours, mais davantage pour son ambiance. Et c’est ça, moi, qui m’a impressionné dans le film : l’atmosphère, constamment sordide (du moins pendant les trois quarts), capable de mettre Hannibal Lecter lui-même mal à l’aise. Surtout lors du deuxième segment, dans le Rectum, avec cette musique à la fois lancinante et stridente : impitoyable, encerclant le spectateur (c’est pas les dialogues qui vont aider à faire abstraction de la scène…) pendant plus de 10 minutes, elle évoque tellement le danger que le spectateur se sent lui-même en insécurité, dans sa salle, devant l’écran ! Ça se valide quand même, ce genre de performance. L’idée du film monté à l’envers, maitrisée, avec un dernier panneau indiquant « Le temps détruit tout » avant le noir, lui donne un atypisme qui fait du bien dans le cinéma. Revers de la médaille cependant, les noms des techniciens sont illisibles. Noé dérange: tant mieux.

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le 14 août 2018

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Billy98

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