Le deuxième volet d’Ivan le terrible poursuit sa gradation dans la paranoïa : on ne quitte plus les intérieurs où s’ourdissent les trahisons les plus retorses, face à un tsar qui se définit lui-même comme « diffamé, condamné, maudit, seul », et pourtant entouré d’une garde rapprochée dont il doit se méfier pour survivre.


À couper au couteau, l’atmosphère oppressante est le sujet principal du récit. Veuf, Ivan n’a plus d’illusions, d’autant qu’un retour en arrière a permis de déterminer que sa mère aussi avait été empoisonnée. C’est une mère de substitution qui entre donc sur le devant de la scène, sa tante qui, bien entendu, veut sa perte et mettre sur le trône vacant son propre fils.
Le cérémonial, qui avait déjà une grande importance dans le premier volet, prend ici toute la place. Les processions, les fêtes, les messes sont autant de moyens folkloriques ou sentencieux pour faire ses déclarations et placer ses pions.
Le fardeau maudit du pouvoir a fait des individus des personnages, prisonniers de leur grandeur, engoncés dans des statures qui font d’eux des cibles, ou des observateurs avides en quête de la place centrale.


Le palais ou la cathédrale sont des lieux qui voient, comme en témoignent les fresques omniprésentes et démesurées : la confidence n’existe pas, les murs ont des oreilles, et les complots finissent par être démasqués. Dans cet univers où le mensonge est roi, c’est par lui qu’on gouverne : chaque déclaration, chaque cérémonie contient sa désinformation, sa déclaration à double fond qui va permettre de confondre les traitres, et la fête elle-même est l’occasion, à la faveur de l’alcool, d’obtenir des aveux involontaires.


La carrière d’Eisenstein, de 1924 à 1945, aura permis de voir la naissance et la maturité du cinéma : de la maitrise du montage, dont on lui attribue la paternité, à l’avènement du parlant, et jusqu’à l’irruption de la couleur qui intervient dans quelques séquences de son dernier film.
C’est l’occasion pour lui d’accroitre la dimension infernale de son récit : filtres rouges, vert et jaunes, presque psychédéliques avant l’heure, pour extérioriser des passions démesurées qui déréalisent les liens entre les personnages et font de ce ces fêtes aux allures de bacchanales.


C’est là le paradoxe fécond du film : historique et proche de la fable, fidèle dans sa reconstitution et fantastique dans son atmosphère, traitant du passé et reflet des dérives paranoïaques du despote présentement au pouvoir, c’est une œuvre protéiforme et cauchemardesque, qui synthétise plus que jamais la qualité prépondérante du cinéma d’Eisenstein : l’image, le son, la couleur convergent vers une énergie unique, qui transcende l’histoire et irrigue aujourd’hui encore le septième art de sa force singulière.


(8.5/10)

Sergent_Pepper
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le 11 déc. 2020

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Sergent_Pepper

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