L'enfance d'Ivan qui commence en flash back après un passage à la cour du roi de Pologne Sigismond explique les errements et les cruautés futurs du tsar par ses traumatismes passés. Il a été témoin à huit ans de l'empoisonnement de sa mère et fut ensuite victime des insultes et des provocations des boyards. Cet Ivan deuxième partie est un maudit, il est abandonné par ses proches et par Dieu. Son amour du peuple, de la terre russe, son désir de faire le bien sont contrebalancés par ses crises de démence (il en vient à tuer son fils mais le film n'en parle pas).
Après avoir perdu tragiquement sa femme (dans la première partie), Ivan est trahi par son ami le prince Kourbsky qui passe chez l'ennemi le roi de Pologne. Sa tante Efrossinia et l'archevêque Pimène continuent de préparer sans relâche des complots. Ivan est ensuite lâché et menacé par son autre ami Kolytchof qu'il avait pourtant nommé métropolite...Cette dernière trahison sera de trop : Ivan décide d'être dorénavant conforme à son nom : il sera terrible...
Le jeune tsar du début a pris dans la seconde partie l'aspect du psychopathe, du monstre effrayant dont l'image est restée dans l'histoire. Certains auteurs ont noté une ressemblance physique entre le tsar et le metteur en scène de théâtre Meyerhold pour qui Eisenstein avait travaillé plus jeune ainsi qu'une ressemblance psychologique : méfiance à l'égard de l'entourage, inclinaison à écraser les contradicteurs. Meyerhold étant mort fusillé pour manquement au réalisme socialiste en 1940, Eisenstein, se retrouve orphelin de son deuxième père. Il a essayé, semble-t-il, à travers Ivan, de ressusciter l'image d'un père qu'il n'a pour ainsi dire jamais eu, le rendant dominateur, héroïque, sévère mais juste, et infaillible... De là cette volonté de trouver à tout prix des circonstances atténuantes à Ivan IV alors que le seul aspect physique du tsar réfute toute justification. De la même façon Eisenstein, un zeste mysogyne, aurait pareillement voulu se venger de sa mère qui l'avait abandonné dans son enfance et qui aurait été une des causes de ses problèmes avec les femmes, en chargeant le personnage d' Efrossinia et en la punissant par la mort de son fils.
On a voulu nous faire croire que si le film était un échec c'était uniquement par la faute de Staline qui n'aurait pas aimé le film à cause de son « formalisme » et aurait vu dans le personnage d'Ivan une critique de sa propre personne. Sans vouloir défendre le point de vue du dictateur Joseph il faut bien constater qu'il y a un « formalisme » parfois ennuyeux dans cette deuxième partie moins réussie que la première. La couleur, une couleur rougeâtre et sombre apparaît sur la fin, remplaçant le noir et blanc sans que cela réponde à une nécessité particulière du scénario. Un stock de pellicules saisi aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale a simplement permis à Eisenstein de se prendre pour Walt Disney qu'il admirait. La musique de Prokofiev est comme souvent assez lourde et soporiphique. Le film bascule par moments entre l'opéra filmé et la comédie musicale, et ce mélange des genres est loin d'enrichir le film au contraire. L'intérêt se dilue faute d'actions, les personnages étant trop caricaturaux et le sujet manquant d'une direction précise. Je me suis même assoupi un bref moment (ne jamais regarder les deux parties à la suite !). L'élan patriotique de la première partie a laissé la place à une vision plus personnelle de l'auteur, où se sachant proche de la fin, il se dévoile pour la première fois, mais sur un fond un peu ennuyeux de luttes souterraines pour reprendre le pouvoir au tsar .
Pour consolider son pouvoir absolu, « former un cercle de fer aux pointes dressées contre l'ennemi », le tsar forme l'Opritchnina, dont le nom devenu aussi effrayant que l'Inquisition ou la Waffen SS sera par la suite indissociable d'Ivan le Terrible. Les opritchniki sont une milice formée de brutes vêtus de noir, qui chevauchent avec une tête de chien accrochée à leur selle, et sous le prétexte de mordre les « traitres » mettent le pays à feu et à sang, violent les femmes et assassinent les hommes. Au lieu de cela en guise d'opritchniki Eisenstein nous montre de jeunes hommes en train de chanter et danser. Le tsar est tout aussi curieusement accompagné de Fedor, un jeune éphèbe opritchnik qui ne dit presque rien. Ephrossinia se met à chanter une chanson sur les castors noirs à la mort de son fils (hommage aux castors juniors de Walt Disney ?).
Parmi les nombreuses libertés prises avec l'histoire réelle, il faut mentionner que Sigismond II, le roi de Pologne n'était pas efféminé comme c'est lourdement suggéré, que Ivan IV, loin d'être désespéré à la mort de son épouse, s'était remarié sept fois, que Kourbski s'était enfui en Pologne à cause des persécutions à l'encontre des boyards, que le grand duc Vladimir n'était pas un demeuré mais un général victorieux des Tatars, que Efrossinia n'a pas empoisonné Anastasia, que la mascarade de la couronne et des attributs du tsar donnés à Vladimir (la scène la plus intéressante du film) est pure invention, de même que les complots incessants ourdis par l'entourage. Ça fait quand même beaucoup même si la fidélité historique n'est pas un critère pour faire un bon film.
Après les contre-vérités historiques d' Octobre Eisenstein récidive donc avec Ivan le Terrible. Ce n'est pas le plus gênant , le plus décevant étant l'absence dans cette seconde partie des grands tableaux épiques avec les masses en mouvement, pleines de bruit et de fureur, animées d'un élan invincible pour changer le monde, ce qu' Eisenstein a légué de mieux au cinéma.
[ma note:6,66 arrondi à 7]