En 1938, Abel Gance reprend le thème anti-guerre d'un film muet du même titre qu'il avait réalisé en 1919, parce que le bruit des bottes commence à se faire entendre un peu partout en Europe et qu'il sent une nouvelle guerre se préparer... Il signe ici de manière prémonitoire, un sidérant pamphlet contre la guerre, un hommage fervent à ces millions de morts pour Rien, certes un tantinet emphatique mais dont la scène finale vous empêchera à jamais, de recouvrir les souvenirs macabres de cette boucherie, du voile de l'oubli...
L'entrée en matière nous replonge frontalement dans un décor d'une tristesse pesante, dans les souvenirs effroyables de la grande guerre en s'appuyant sur des images d'archives, ravivant ainsi les pages de cauchemar, vécues par les poilus dans leur capote boueuse et sanglante..."Vous n'avez pas fini de jouer au tennis avec ma carcasse"... des explosions, de la viande rougie (malgré le noir et blanc), des villes en ruines, des obus et des hommes en civières ou allongés sur le flanc dans la boue et leurs plaintes ... et toujours les canons et la mort en relief !... "La guerre, cet infini du cauchemar" disait Céline dans son Voyage au bout de la nuit.
Une synthèse des souffrances endurées par tous ces hommes jeunes, confrontés à la guerre et potentiellement condamnés à mort...
Au cœur de ce bourbier, l'évocation d'une histoire d'amour, assez classique, en ces circonstances , deux hommes amoureux d'une même femme, prétexte à souligner encore davantage, l'abnégation et le courage de Jean Diaz, le sacrifice personnifié et incarné par l'austère Victor Francen, acteur au jeu excessif, mais parfaitement synchrone avec l'objectif recherché par Abel Gance.
Toute la problématique du film converge en effet vers l'idée utopique et obsessionnelle, "d'enlever de la cervelle des hommes, l'envie de se battre", d'abolir à tout jamais toute idée de guerre..."cette bêtise, cette abjection, ces meurtres d'innocents".
Cette volonté de respecter cet objectif illusoire sera satisfaite grâce à la détermination inébranlable du héros et à la puissance de sa promesse. Le jeu outrancier du personnage nous amène à le suivre sans réticence, dans la séquence finale rédemptrice, hallucinante et magistrale, où, par la profondeur d'outre-tombe de ses appels, il fera se lever les morts dans un cortège macabre dirigé contre la folie des hommes... des superpositions d'images au rendu impressionnant dont les sensations sont accentuées par l'effet chair de poule de la musique funèbre étroitement liée au bruit de la foudre et des éclairs... L'ossuaire de Douaumont devient lui-même un personnage animé dont le regard lumineux juge ces vivants qui veulent recommencer la guerre... Où vont ils ?
Sans aucun doute déterrer la colombe de la paix !!!