Kaurismäki allie le drame avec la comédie avec malice, sans tomber dans la surenchère, en conservant ainsi une certaine subtilité qui offre de la pureté à ses œuvres. En effet, J'ai engagé un tueur s'inscrit dans la continuité de la filmographie du Finlandais, tant par sa concordance sur la forme, mais également par sa présentation du sujet : un sujet terriblement délicat à traiter, mais avec une ironie légère, mais continue. Le long-métrage permet ainsi de mettre en forme un énième destin torturé et délicat, tué par la privatisation, laissant le personnage de Jean-Pierre Léaud perdu, dans un monde qui lui est absolument inconnu.


Trouver notre Léaud national dans une telle production, c'est croire à ce que la Nouvelle Vague n'a jamais pu faire : reconstruire un acteur pour le sacraliser. Si Truffaut crée un "feuilleton de vie" sur Antoine Doinel, Kaurismäki établit un rapport autour du Léaud acteur, qui témoigne de sa nouvelle vie, à travers des discussions vraisemblablement sarcastiques. Nous retrouvons notamment ce moment où sa dulcinée, interprétée par la mystérieuse Margi Clarke, lui demande pourquoi ne revient-il pas en France, question avec laquelle le personnage de Léaud répond : "Je ne suis pas aimé en France". Cela sonne vrai non pas à cause du personnage, mais à cause de l'acteur en lui-même... et peut-être est-ce un défaut, peut-être cela nous rapproche trop de la réalité de l'époque, où Léaud n'était plus quémandé dans le cinéma français de la décennie passée (car il faut rappeler que le film de Kaurismäki est tourné en 1990, voire même en 1989...).


Léaud crève l'écran, mais il respecte tout de même son rôle perpétuel du "paumé" dans une société qu'il ne comprend pas. Néanmoins, Kaurismäki est lui-même dans la même situation, puisqu'il filme constamment des personnages perdus dans des sociétés inhumaines. Chaque individu est perdu dans le long-métrage, ils sont tous perdus, à la limite du suicide, mais Kaurismäki nous donne de quoi les aimer. Mieux, il nous offre des questionnements, des espérances, des convictions à travers les protagonistes. Chacun vit à travers l'écran, chacun semble avoir une identité sur une simple portion de pellicule. Il s'agit notamment de faire référence au tueur à gages, mais également au chauffeur de taxi au début, au duo de malfaiteurs de bas étage, au groupe de Joe Strummer, qui, par ailleurs, compose la bande-originale du film.


Le schéma narratif est identique aux déroulements des autres productions de Kaurismäki : une quête cynique, une création des dangers involontaires, une persistance au "fatum", une maladresse ironique, volontairement employée par le réalisateur par pur cynisme. Néanmoins, le film perd en efficacité à partir du cancer diagnostiqué chez notre tueur à gages, puisque le film ne parvient pas à décoller pleinement. Pourtant, cela se réfère à l'absurde, principe sacré et divin chez le Finlandais, mais cela n'offre pas au rythme davantage de sainteté. Au contraire, le film s'enlise dans son dernier quart-d'heure, sans toutefois être catastrophique ni fondamentalement mauvais. En effet, l'histoire est actée, mais tout est réalisé de façon impromptue, trop précipitée, alors que le chemin réalisé jusqu'à là semblait déjà frénétique, notamment par son invraisemblance.


Techniquement, nous ne pouvons rien dire, il s'agit d'un film dans l'esprit de son réalisateur. Ainsi, le peu de dialogue dans le long-métrage permet de rappeler l'attention propre que porte le metteur en scène au son : il faut que la parole soit nécessaire, sinon celle-ci ne profite pas au fil narratif. Néanmoins, je dois avouer que j'apprécie particulièrement Kaurismäki par son rapport, justement, envers les dialogues : ces derniers servent du comique d'image, puisque les dialogues n'aboutissent que sur des expressions physiques assez comiques. Nos personnages s'expriment de façon très neutre, mais les discussions permettent de mettre en relation le comique au dramatique : le docteur qui tire la tronche quand il doit annoncer le cancer, Léaud qui se trouve malgré lui dans une scène de crime...


Ainsi, J'ai engagé un tueur s'avère très sympathique dans sa façon de mettre en forme un cinéma noir, mais totalement cynique, tant par la présence de Jean-Pierre Léaud, parfois fantomatique, mais surtout très "Léaud", que par l'établissement d'un univers désespéré, perdu, enclin à la tristesse sociale, mais aussi au bonheur imprévisible. Malheureusement, le film ne parvient pas à être égal de bout en bout : souffrance d'un rythme malotru sur sa fin. Il reste néanmoins toujours aussi appréciable de voir Aki Kaurismäki apporter autant de douceur et d'existence à ces personnages, qui, en première apparence, semblent totalement froids et terriblement tristes. Certes, il y a de la tristesse, mais Kaurismäki leur offre de la vie

Amomo
7
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le 30 mai 2016

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Amomo

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