Alors que la BD traite depuis des décennies des sujets "adultes", il faut bien reconnaître que le cinéma d'animation, même le meilleur - disons les films du Studio Ghibli par exemple - reste enraciné dans le monde de l'enfance, quitte à le transcender - comme c'est le cas des plus beaux films Pixar. C'est un fait, et, évidemment, une grande source de frustration... qui fait que plus ou moins chaque film d'animation un tant soi peu "sérieux" (pardon pour ce terme réducteur et finalement injuste...) est accueilli comme une merveille, même si ses qualités réelles ne valent pas toujours tant d'honneurs. C'est ce qui explique à mon avis les critiques délirantes qui ont salué ce "J'ai perdu mon corps", qui est certes un bon film, mais pas non plus un chef d'oeuvre absolu.
Un bon film, car sa première partie, qui suit l'odyssée d'une main tranchée échappée d'un frigo à travers Paris, est régulièrement stupéfiante d'originalité, d'audace et d'intelligence : des premières scènes qui voient la main apprendre à se mouvoir à sa rencontre avec des rats dans le métro, "J'ai perdu mon corps" intrigue et passionne. Un bon film aussi car plusieurs scènes atteignent un niveau d'émotion, ou plutôt de sensibilité, absolument remarquable, comme ce très beau moment du dialogue via interphone, qui dégage un sentiment de vécu et de poésie quasi-miraculeux. Ou bien encore certains de ces flash-backs "sensoriels" qui diffusent une mélancolie subtile, nous ramenant à nos propres souvenirs de sensations enfantines qui nous ont construits. Ne serait-ce que pour ces moments-là,il faut absolument voir "J'ai perdu mon corps".
Ce qui empêche le film d'être une totale réussite, c'est sans doute le choix - certes audacieux - de suspendre le récit, de ne tirer aucune conclusion de ce double périple (du héros, et plus tard, de sa main...) qui me semblait pourtant en mériter une. C'est là une manière trop facile de planter personnages et spectateurs au bord de l'abîme, en donnant finalement l'impression que tout cela a été assez gratuit, et que l'unique objectif de Jérémy Clapin était de susciter en nous un panel d'émotions, sans toujours justifier leur origine. Et donc de créer une sympathie instinctive envers son film, sans que fonctionne réellement l'esprit critique du spectateur : en témoignent par exemple ces plans stressants où l'anticipation de l'accident, dont nous savons qu'il va arriver, crée un réflexe instinctif de crainte, soit un mécanisme basique indigne d'un film aussi "ambitieux".
Ces réserves, importantes, n'empêchent toutefois pas d'apprécier ce beau film, assez hors du commun.
[Critique écrite en 2020]