Jesse James, c'est la légende. Bandit romantique comme Robin des Bois, trahi par un de ses potes comme Jésus, on lui a tiré dans le dos alors qu'il époussetait tranquillement un tableau dans sa maison, ce qui en fait par dessus le marché une sorte de martyr de la propreté domestique. Les Américains, qui forment un peuple ordonné, en frémirent d'horreur, et depuis passent l'aspirateur les fesses serrées dans la crainte de mourir comme lui. Mais nous nous égarons.
Or donc, au début du film Jesse James a tout pour vivre heureux : une épouse chrétienne d'un côté, et de l'autre un ami comme tout le monde aimerait en avoir, aimable au point de venir lui brosser le dos quand il prend son bain dans la grange. L'idéal. Il offre un Colt 45 à ce fidèle d'entre les fidèles et... bam ! Bob, c'est pas le mauvais cheval, mais entre gratter le dos de son pote et l'abattre pour obtenir l'amnistie qui lui permettra de convoler avec la vedette féminine du film, il a vite choisi, et vous en auriez fait de même, vermisseaux romantiques que vous êtes.
Que Bob Ford ne soit pas un mauvais bougre, au fond, c'est ce que Sam Fuller s'emploie à démontrer tout au long de ce premier film, avec talent. L’œuvre n'est pourtant pas des plus homogène, et on pourrait y distinguer deux parties très inégales d'intérêt : la première, la plus intéressante, est une réflexion fascinée sur le cas d'un homme qui choisit d'assumer un acte ignominieux aux yeux de la société pour y retrouver une place, et ne parvient qu'à en aggraver son exclusion. Et dans ces trente ou quarante premières minutes, le déjà grand scénariste et réalisateur qu'était Fuller met en scène habilement toutes les questions morales posées par un tel acte : en tuant - fût-ce dans ces circonstances - un personnage qui nous est présenté comme un tueur de sang froid dans les premières minutes du film, Robert Ford mérite t-il vraiment l'opprobre général ? Poursuivant un rêve de bonheur amoureux au mépris des règles élémentaires de la morale sociale, Bob Ford ne serait-il pas des fois une sorte de héros nietzschéen de l'éthique individualiste, hein, par hasard, dites donc ? Ou alors : ce con savait-il seulement ce qu'il faisait, n'a t-il pas fallu qu'il rejoue l'assassinat sur scène pour le savoir ? Ces questions sont suggérées sans lourdeur et dramatisées dans des scènes dont les plus intenses sont sans coup de feu, celles où le personnage parvient enfin à la compréhension de son acte. Sans être un spécialiste du western, il me semble qu'il y a là, pour un film tourné en 1949, quelque chose de profondément novateur. Si Fuller est le premier à avoir raconté l'histoire du point de vue du traître, c'est en tout cas un coup de génie d'une belle fécondité.
Puis le ton change, et de beaucoup, quand dans une seconde partie l'ami Bob s'en va tenter sa chance comme chercheur d'or. Nous tombons, et très curieusement, dans une sorte de western à la Lucky Luke, avec bagarres de saloon, prospecteurs éméchés et autres ornements habituels des versions de série B de l'épopée américaine. Le réalisateur manquait t-il alors de poids pour imposer sa vision de l'histoire à la production ? Souhaitait-il simplement atténuer la noirceur de ses débuts ? En tout cas c'est ainsi, désolé, c'est pas ma faute.
Un premier essai terriblement inégal, et pourtant intéressant, par sa première partie ainsi que par sa dernière scène, qui vient habilement changer la perspective sur l'ensemble de l'histoire. Pour autant, si Sam. Fuller n'avait pas eu par la suite la carrière que l'on sait, il est permis de croire que ce western serait resté exclusivement connu des spécialistes du genre, comme une tentative originale, mais imparfaite, de le renouveler par l'introduction d'un type de questionnement que sa morale héroïque n'avait pas permis jusqu'alors d'exprimer.