J'aurai ta peau
4.9
J'aurai ta peau

Film de Harry Essex (1953)

Premier Mike Hammer, hybride entre le film noir et sa géniale caricature parue dans la BD "MAD"

Le détective Mike Hammer, inventé par l'écrivain Mickey Spillane est mis en scene pour la premiere fois, inaugurant une longue série de films et téléfilms. 

L'originalité de cet opus à l'intérieur du genre "noir" est qu'il nous présente une imagerie hybride entre le classique film de "private eye" américain des années 40 (avec ses durs élégants et mélancoliques Philip Marlowe ou Sam Spade joués par Humphrey Bogart, Dick Powel ou Alan Ladd) et sa géniale caricature parue dans MAD, la revue satirique de BD  des années 50.

Mon affection pour ce film, que je vois en entier seulement en 2022, vient d'un souvenir d'enfant. Je n'avais vu alors que sa bande-annonce et je gardais l'empreinte d'une séquence choc : un manchot  tombe sur le sol et on voit dans une encoignure de porte le canon d'un revolver fumant entouré d'un linge. Avec son bras unique comme levier, le blessé se traine sur le sol et vers nous, les spectateurs assis. 

La scène est d'autant plus spectaculaire pour un enfant que le film fut tourné en 3 D. Elle est suivie dans ce "lancement" par l'image en gros plan de l'ami de la victime, le  détective Mike Hammer qui marche dans la  nuit le visage cinglé par la pluie, scandant une litanie d'imprécations.

L'intrigue est un "whodunit" (who done it) standard  (on cherche l'assassin) mais il semble aussi imiter les bandes dessinées des maîtres Bill Elder et Jack Davis, avec leurs parodies hilarantes de scènes cultes cent fois déclinées dans les films, depuis l'allure du fouineur en trench coat au comportement des femmes qui sont séductrices, rivales et fatales.

On apprécie aussi la très belle photo en noir et blanc de John Alton.

L'acteur principal Biff Elliot ressemble à son contemporain plus connu John Garfield, dont il a la large carrure. Son visage est enfantin mais il est marqué par la boxe (qu'Elliott pratiqua comme professionnel quand il était jeune) et il a une mèche en accroche-coeur sur le devant. Il donne et prend des coups tout du long et quand il s' apprête à embrasser la fille qui lui plait, il est toujours dérangé par quelque chose. Tout autant, c'est lui qui évite avec une  réplique souvent drôle les avances effrontées des belles qu'il n'aime pas. Le dialogue et le récit en voix off sont une succession de punch lines réussies tandis que le montage de scènes courtes donne au film un rythme captivant. 

On retrouvera ce rythme dans le Kiss Me, Deadly (En Quatrieme Vitesse) de Robert Aldrich en 1955, avec Ralph Meeker dans le rôle du même Mike Hammer. Cette vitesse fut très appréciée par les critiques de l'époque, dont ceux des Cahiers du Cinéma. On découvre alors que I The Jury est le modèle méconnu de ce film beaucoup plus célèbre.

C'est le premier film comme réalisateur de Harry Essex, qui en a dirigé seulement quatre dans sa carrière, alors qu'il fut un scénariste prolifique de films noirs, de science fiction ou de westerns des années 40 aux années 90, par exemple le plutôt réussi The Lonely Man (Jicop le proscrit) de Henry Levin, en 1957. 

Les Mike Hammer ultérieurs sont différents : celui de Aldrich joué par Meeker en 1955 tirera le rôle vers le dur cynique et parfois immoral, et celui joué par Stacy Keach durant les décennies 80 et 90 dans deux séries TV et plusieurs téléfilms campera un affranchi séducteur. Ici, Biff Elliott montre un mélange original d'énergie brutale, d'engagement, de fidélité morale et de grande candeur, composant un personnage attachant.

La vendetta annoncée par le titre évoque une controverse éthique qui deviendra courante dans le cinema d'action américain. Elle est provocante, posée sans détours, aussi bien par le titre américain, littéralement "Moi le jury" que par sa "vraie fausse" traduction française "J'aurais ta peau". Les deux formules indiqueraient une posture en faveur de  la vengeance. Cependant, elle est contestée dans le film même par le policier joué par Preston Foster qui oppose amicalement au privé la marche sereine et équilibrante de la Loi. 

Sur ce plan, des critiques du film et de l'écrivain Mickey Spillane exagèrent beaucoup quant à sa position politique qui ferait l'éloge d'un justicier de cinema en tant que milicien hors-la-loi. Au bout du compte, ce n'est ici qu'un artifice romanesque : la formule "j'aurai ta peau" souligne la colère du détective, car il est un ami de la victime, une personne handicapée, et il s'exprime sous le choc de la scène de crime. A la fin, s'il abat le cupide assassin, c'est en légitime défense et non comme un exécuteur qui revendiquerait d'être à la fois le juge et le bourreau. 

L'option idéologique d'assumer la vengeance au cinema, on ne la verra que bien plus tard, dans les années 70, dans la série de trois films de Michael Winner avec Charles Bronson intitulée Death Wish, le Justicier dans la ville. Elle aura elle-même de nombreuses imitations si bien que le thème est devenu une banalité scénaristique : on les appelle depuis "les films de revanche".

Dans cette première histoire de Spillane, I The Jury, y a t il une vraie différence morale entre son détective et celui de son grand prédécesseur, icône de la gauche, Dashiell Hammett dans Le Faucon maltais ?  Dans celui-ci, Sam Spade dénonça une femme, qui est pourtant l'amour de sa vie, à la police, et il la voue à la chaise électrique car elle avait tué son ami... Or le détective de Spillane pourchasse sa belle pour exactement les mêmes raisons et s'il tire sur elle c'est juste avant qu'elle ne le tue... La différence est mince (aussi mince que les deux noms de Hammett et Hammer : est-ce un hasard ?).

(Notule de 2022 publiée en décembre 2024).

Premier opus Mike Hammer : J'aurai Ta Peau - I The Jury 1953 Harry Essex.

Deuxieme opus Mike Hammer : En Quatrième Vitesse - Kiss Me Deadly 1955 Robert Aldrich.

Troisième opus Mike Hammer : My Gun Is Quick 1957 Victor Saville. (Non édité en France).

Quatrième opus Mike Hammer : Solo Pour Une Blonde - The Girl Hunters 1964 Roy Rowland.

Michael-Faure
8
Écrit par

Créée

le 18 déc. 2024

Critique lue 9 fois

3 j'aime

2 commentaires

Michael-Faure

Écrit par

Critique lue 9 fois

3
2

D'autres avis sur J'aurai ta peau

J'aurai ta peau
Michael-Faure
8

Premier Mike Hammer, hybride entre le film noir et sa géniale caricature parue dans la BD "MAD"

Le détective Mike Hammer, inventé par l'écrivain Mickey Spillane est mis en scene pour la premiere fois, inaugurant une longue série de films et téléfilms. L'originalité de cet opus à l'intérieur du...

le 18 déc. 2024

3 j'aime

2

Du même critique

Fenêtre sur cour
Michael-Faure
9

Triple coup de maître de Hitch malgré une filouterie narrative presque dérangeante.

C'est un de ces magnifiques opus d’Alfred, qui entretient la curiosité du film à énigme, l'inquiétude du thriller, et l'attente du suspense, de tous les genres mélangés donc. Il est très bien joué...

le 8 déc. 2024

5 j'aime

2

100 dollars pour un shérif
Michael-Faure
8

Grand western avec John, qu'on réévalue d'autant mieux qu'on le compare à son remake avec Jeff

Impossible de dissocier le film des frères Coen de la version du même roman True Grit tournée par Hathaway avec John Wayne en 1969, qu’on est alors tenté de revoir et qu’on réévalue vers le mieux à...

le 29 déc. 2024

4 j'aime

2

La Loi du silence
Michael-Faure
9

Mélodrame flamboyant en Noir et Blanc avec une réflexion éthique à plusieurs bandes de l'ami Hitch

Mélodrame criminel flamboyant bien qu'en noir et blanc, tourné à Quebec, avec comme cerise sur le gâteau hitchcockien une réflexion éthique à plusieurs bandes.D'abord, le suspense est original : un...

le 8 déc. 2024

4 j'aime

2