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L’ampleur d’un deuil est souvent difficile à déchiffrer : le sang coule mais l’esprit se disperse de tous les côtés. Un magma de souvenirs s’éparpille pour déceler le vrai du faux, surtout dans les hautes sphères de la politique. Après l’assassinat de son mari, le Président des Etats Unis, Jackie Kennedy va devoir garder la tête haute pour s’occuper de la suite des événements, notamment des funérailles de son défunt mari. La femme au sourire béat devient la martyre recollant les morceaux de cervelles du Président.


A partir de ce postulat que tout le monde connait plus ou moins, Pablo Larrain décide de décrypter l’Histoire par le petit bout de la lorgnette : où la mythologie d’un Président se voit créer par les larmes séchées et l’abnégation d’une femme qui marche dans la boue pour trouver une place digne de ce nom aux dépouilles. Autour d’une table, Jackie Kennedy décrit cette courte période lors d’une interview face à un journaliste plutôt curieux. Entre les deux, un jeu du chat et de la souris sur ce qu’il faut dire ou écrire va s’instaurer, presque un huis clos de domination.


Durant ce dialogue qui voit la mémoire de l’ancienne première dame se déchirer, Pablo Larrain prend en grippe le genre du biopic en rétrécissant l’espace-temps de son film : quelques jours d’une vie qui vont tout changer. Le réalisateur évite tous les pièges du patriarcat vainement solennel du genre pour se questionner sur la vérité d’une Histoire. Mais ce mot a une définition bien délicate à prendre en compte. Que va-t-on voir ? L’Histoire tirée des livres ou celle entraperçue à travers l’écran cathodique, celle du regard d’une femme ou celle entretenue entre une épouse qui se censure et un journaliste perplexe ? Un idéal utopique entre réel et représentation: l'amorce politique du faux.


Au final chaque versant de l’intrigue a son propre mot à dire où au fil des minutes, l’emboitement des récits devient plus réel que la vérité elle-même et où la conscience collective se ramifie au subconscient d’une femme meurtrie. De ce fait, le cinéaste égratigne le sens même de la notion de vérité et décrit simplement la confession même d’une entité en plein chaos. C’est ce qui fait la puissance narrative de Jackie où Pablo Larrain superpose les points de vue tout en ne perdant jamais en point de mire : le portrait, l’étude de caractère d’une femme poursuivie par la mort.


De sa caméra dont l’image s’avère granuleuse, le réalisateur s’écharpe à densifier les émotions physiques de son actrice, que cela soit en gros plan de manière portraitiste ou expressionniste rappelant à certaines reprises La Passion de Jeanne D’arc de Dreyer, ou en plan large la voyant isolée autour d’une immensité déconfite. Il est difficile de ne pas penser à Black Swan : de par la présence de Nathalie Portman en tête de gondole et dont l’iconisation se veut morbide mais surtout par cette velléité de triturer le physique rêche de son actrice, une mutante aux reflets discontinus et de magnifier les sacrifices effectués dans l’ombre de la mort de son époux. Pablo Larrain essaye d’apporter son regard sur le rôle ingrat d’une première dame mais ne tombe pas dans la facilité du portrait à charge ni dans la propagande militante.


Non, Jackie est une œuvre tentaculaire, qui derrière la fausseté guindée des apparitions télévisées d’une femme serviable et utilisée comme un meuble de la Maison Blanche, montre l’arrière du décor d’un stratagème politique et humain qui se cache dans la construction du mythe qu’est John Fitzgerald Kennedy. Et ce point de vue-là, Jackie est d’une richesse tétanisante. De par cet évènement tragique, Pablo Larrain va nous raconter qui se cache derrière le masque fissuré de Jackie Kennedy, jn monstre politique, un accessoire mystique, sachant qu’il est beaucoup question de visage dans Jackie comme en témoigne cette scène symbolique de maquillage avant l’atterrissage de l’avion : une personne qui se confond dans trois reflets différents.


Alors qu’elle s’interroge sur la femme qu’elle est et le rapport distant avec son époux, sur la férocité sanguinolente qu’elle doit afficher vis-à-vis de ceux qui voulaient la tête de son mari (les pancartes « Wanted ») ou sur la sécurité de ses enfants, Pablo Larrain avec son montage éclaté et sa chronologie vacillante ne cesse de disséminer des pistes, des indices sur des parts d’ombre pour façonner Jackie Kennedy : un être miroir passionnant à la fois de froideur et de pugnacité tout en ayant cette amertume de la perte. Car Pablo Larrain gratte le vernis d’une famille qui suinte la mort et la culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur, celle d’arrivistes riches et célèbres qui logent dans les appartements de plus grands qu’eux et dont les acolytes politiques sont devenus des vautours humant la chair fraîche.


Quelles traces ont-ils laissé derrière eux ? La dignité face à la mort et celle de vouloir tirer le gouvernail de la grandeur de l’Amérique. Par de là cette faculté à ériger le portrait d’une femme, Pablo Larrain crée une œuvre monde : où le petit récit devient grand, où chaque scène, chaque dialogue dépeint une description bien précise, notamment dans ce dialogue entre Jackie et son prêtre qui d’un point de vue thématique et visuel sont presque Malickienne. La rigidité et la froideur du cadre de la réalisation de Larrain peuvent paraître rédhibitoires sur le coup, mais accentuent ce sentiment mortifère qui tapisse l’œuvre dans son entier, sans parler de la musique mélancolique de Mica Levi.


En parlant de cette dernière, il n’est pas anodin de la voir à la tête du travail sonore du film, tant Jackie dévoile par moment une véritable similitude sensorielle avec Under the Skin comme durant cette magnifique séquence d'enterrement. Le final des deux films s’alimente : où l’humanisation rejoint la déshumanisation et où la femme en question enlève son masque pour voir une autre facette d’elle-même dans cette ribambelle de mannequins désarticulés et sans âme à l’effigie d’elle-même.

Velvetman
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le 8 févr. 2017

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