Quel est le meilleur Tarantino ? On pourrait vite penser à Reservoir Dogs avec sa structure géniale et son imposition d'un nouveau style. Ou encore à Pulp Fiction, approfondissement total de ce style. Même à Kill Bill 2, dont le pied-de-nez au premier est absolument magistral.
Après revisionnage, je peux tranquillement dire que Jackie Brown est, selon moi, le meilleur Tarantino.
Beaucoup de personnes peuvent sortir déçu de ce film au premier visionnage parce qu'en effet, c'est le moins Tarantinesque de tous. Presque pas de violence, des personnages moins barrés, un schéma de narration classique, moins de folie dans le style de la réalisation ... Et pourtant, grâce à cette mise en retrait du réalisateur, le film prend une tout autre envergure.
Ici pas de personnages cools, pas de situations loufoques, juste des personnages au bout du rouleau essayant désespérément de (sur)vivre en montant le « coup » de leur vie. Jackie Brown, le film le plus humain de Tarantino ? Absolument.
Tarantino n'impose pas son style dans le film, mais se met au service de ses personnages en les armant de sa plus belle arme : les dialogues. Jamais un film de Tarantino n'a été aussi bavard. Ce qui fait le sel des dialogues de ce film est que le réalisateur ne cherche pas la punch line à tout prix. Il laisse simplement vivre ses personnages, et c'est d'autant plus jouissif.
Parlons justement de ces personnages, jamais Tarantino n'a mieux dirigé ses acteurs. Samuel L. Jackson se voit offrir le plus beau rôle de sa carrière en tant qu'antagoniste principal à la fois gangster grand guignol et psychopathe inquiétant. Bridget Fonda rend son personnage délicieusement insupportable. Pam Grier (pour qui Tarantino porte une affection toute particulière) et Robert Foster nous offrent une prestation géniale de cinquantenaires désabusés qui retrouvent l'amour. L'amour, un thème trop souvent survolé par Tarantino se révèle ici comme un pilier de son film. Jamais une histoire d'amour n'a été aussi touchante depuis « Les Lumières de la ville » de Chaplin. L'unique baiser scellant l'amour esquissé entre ces deux personnages renvoie inévitablement à la fin du chef d'oeuvre de Charlot. Un amour qui aurait pu être ... sous d'autres circonstances.
Et ensuite il y a Robert De Niro, le meilleur acteur de sa génération pour beaucoup et pour moi. On imaginait déjà De Niro en gangster cool, en grand chef de mafia au répliques cinglantes et classes, on attendait le nouveau « You Fuck my Wife » et à quoi avons-nous eu droit ? Au beauf de base, sale, portant les chemises hawaienne et la moustache, totalement blasé,drogué, subissant l'entièreté du film dans son fauteuil et marmonnant difficilement quelques répliques. L'art du contrepied de Tarantino comme je l'aime.
Le composition contre-emploi de De Niro est de ce point de vue, exemplaire. Un jeu tout en retenue pour un résultat absolument hilarant. Son seul coup d'éclat, intervenant au bout de deux heures de film, est d'autant plus choquant et jouissif.
L'intrigue (basique) n'est qu'un prétexte pour insufler un souffle de vie incroyable à ses différents protagonistes.
Je pourrais continuer longuement à vanter les qualités de ce film comme sa bande son extraordinaire qui mettra en avant la Soul comme jamais (à l'aide des Delfonics, ou de Bobby Womack) mais je vais m'arrêter là en posant simplement une question :
Tarantino, le Molière des cinéastes ? J'aurais tendance à dire oui.