Avec Jail Bait, on est bien sur très loin des "classiques" d'Ed Wood. Loin du cache-misère élevé au rang d'art, loin de la poésie et du comique involontaires, loin de la folie douce si attachante du réalisateur.
Pourtant, même coincé dans l'intrigue de ce bien pauvre film noir aux faux airs de film éducatif (les personnages secondaires ne manquent jamais de rappeler que "le crime et les mauvaises fréquentations c'est mal, m'kay ?"), Ed Wood parvient à faire entrevoir sa patte si identifiable.
L'accompagnement musical saugrenu (une sorte de flamenco / guitare latine complètement hors de propos) et ininterrompu du début à la fin du métrage tape d'abord sur les nerfs, d'autant que le mixage du son est pour le moins rudimentaire, puis finit par bercer le cerveau du spectateur, qui a de toute façon rendu les armes devant la diction et la gestuelle lénifiante des acteurs, parmi lesquels on reconnaîtra, outre les habitués du cinéma d'Ed Wood, un tout jeune Steve Reeves, qui n'arbore pas encore la barbe et les sandales qui feront sa gloire dans les futurs péplums transalpins.
La pauvreté des décors, dans lesquels on s'attend à tout moment à croiser Glen (ou Glenda), l'absence dramatique de figurants et, globalement, le manque total de moyens, rend la substance du film si ténue que paradoxalement on voyage bien plus loin que ce vers quoi le film voulait nous emmener.
Nous voilà en effet au sein d'un univers auto-contenu dans lequel les mêmes personnages se croisent encore et encore, où les informations radiophoniques vont forcément parler de ce qui intéresse les protagonistes, et où les coïncidences deviennent des fatalités. Une sorte d'hyper-cinéma que seules les minuscules productions de ce type peuvent atteindre.
Le scénario basique de descente aux enfers d'une famille suite aux forfaits de son vilain petit canard se dénoue dans une conclusion saugrenue et étrangement horrifique, qui, il faut l'avouer, fonctionne plutôt bien, ménageant ses effets avec une certaine science du suspense. De quoi quitter ce microcosme sur une bonne note, et prendre rendez-vous avec la suite de la filmographie de Edward D. Wood Jr., créateur de l'étrange.