Lorsque débute le générique de Jane Austen a gâché ma vie, le premier film de Laura Piani, qui en est totalement l’autrice (dans le sens classique en France de la « politique des auteurs »), le cinéphile se retrouvera immédiatement projeté dans le cinéma de Woody Allen : c’est surprenant, mais on comprendra vite la référence en voyant la manière dont Camille Rutherford, tout en subtilité, reprend du vieux cinéaste (désormais à demi « cancelé ») le principe d’un personnage profondément dépressif, torturé, traumatisé même, et pourtant drolatique dans sa maladresse, son déphasage par rapport à son époque et aux codes du quotidien moderne. Il n’est pas interdit non plus de trouver qu’il y a aussi dans le film quelque chose du jeune Moretti, dans la résistance butée, colérique parfois, antipathique souvent, que le personnage d’Agathe oppose au monde, et même à ceux qui lui veulent du bien.

Et ça ne s’arrête pas là, puisque la première scène, piège ironique à ceux, nombreux, qui détestent ça, a tout à fait l’allure du début d’une comédie musicale. Laura Piani est espiègle, puisque même le titre (accrocheur) de son film est un faux semblant. Même si Jane Austen est omniprésente, le sujet n’est pas réellement son influence potentielle sur la vie de son héroïne – ce qui irritera les très nombreux fans, dont nous sommes, de l’immense écrivaine anglaise. Jane Austen a gâché ma vie parle certes beaucoup de littérature, ou plutôt de livres, se déroulant principalement dans une charmante librairie parisienne consacrée à la littérature anglo-saxonne, puis dans une propriété anglaise appartenant à la famille Austen où de jeunes écrivains travaillent temporairement en « résidence ». Mais son véritable sujet est le classique trajet que chacun doit faire pour trouver sa manière d’exister, sa voie mais également sa « voix » (il s’agit ici de se raconter par l’écrit). Et puis, bien entendu, « l’amour », puisque la forme du film est celle de la comédie romantique classique, où l’on hésite entre deux amours, égaré entre malentendus et coïncidences malheureuses et burlesques.

C’est d’ailleurs là que le film se révèle véritablement « anglais », en se référant finalement plus à Bridget Jones ou aux films de Richard Curtis qu’aux contes moraux de Rohmer, avec son héros romantique (Charlie Anson, excellent d’ambigüité) qui a quelque chose de Hugh Grant : on pourra reprocher au scénario de Laura Piani d’aligner les scènes reprenant les codes et les mécanismes de la grande comédie romantique anglaise, mais l’intérêt de son travail est d’en troubler la bonne marche grâce aux ruptures de ton, et à cette sorte de brutalité que dégage Agathe.

Jane Austen a gâché ma vie est un film en déséquilibre permanent, ce qui le rend intrigant : on ne sait jamais vraiment de quoi sont capables l’autrice et son actrice, jouant par exemple avec la vulgarité des vomissures ou des crachats (de lama…) : on se perd dans les bois, on tombe en panne, rien ne se passe come prévu, et c’est très bien comme ça.

Du coup, on regrette beaucoup la conclusion très conventionnelle du film, qui voit le scénario revenir aux facilités habituelles. Et caresser son spectateur, qui avait pourtant adoré être pris « à rebrousse poil », justement dans le sens du poil. Dommage que Laura Piani n’ait pas eu le courage d’aller jusqu’au bout dans la logique de son projet. La prochaine fois, peut-être ?

[Critique écrite en 2025]


https://www.benzinemag.net/2025/01/25/jane-austen-a-gache-ma-vie-de-laura-piani-beaucoup-de-livres-et-une-paire-de-lamas/

EricDebarnot
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le 25 janv. 2025

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Eric BBYoda

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