Jane au pays des cauchemars
Avec le film du jour, Jane Eyre, le roman de Charlotte Brontë connaît sa vingtième adaptation cinématographique/télévisuelle, un sacré poids lourd. Dès lors, on peut se demander l’intérêt d’adapter un tel roman une énième fois… Toutefois, ce n’était pas la question que je me posais n’ayant jamais rien eu à voir avec Jane que ce soit au cinéma, à la télé ou même en lecture. C’est donc avec une curiosité décuplée que je suis allé voir ce film, tout de même on n’adapte pas vingt fois le même roman s’il n’y a pas quelque chose.
Derrière la caméra, Cary Fukunaga réalise sur un scénario de Moira Buffini, la femme s’est notamment démarquée en signant celui de Tamara Drewe. D’emblée ce qui frappe, c’est l’ambiance lugubre sur une atmosphère baroque, presque gothique rappelant les vieux films d’épouvante et dont il y a peu, La Dame en Noir a su ressusciter l’ambiance. Jane Eyre n’a pas connu le droit d’apparaître dans Mad Movies pour rien. Le film est beau, très beau grâce à de décors naturels d’un charme envoûtant surtout Thornfield, la propriété du mystérieux Edward Rochester. L’équipe du tournage a investi Haddon Hall dans le Derbyshire en Angleterre pour faire prendre vie à Thornfield. Pour l’anecdote, plusieurs adaptations de Jane Eyre ont pris place dans cette propriété.
Le film de Cary Fukunaga multiplie les séquences éclairées juste à la lumière de la bougie ou de la cheminée renforçant la tension sur certaines séquences, un procédé n’étant pas sans rappeler le magnifique film Les Autres. D’ailleurs, Jane Eyre bénéficie d’une atténuation de couleurs donnant l’impression de suivre des âmes damnées dans quelconques tourments de l’enfer. Le directeur de la photographie Adriano Goldman a effectué un excellent travail sur le long-métrage dont la mise en scène de Cary Fukunaga s’est chargé de magnifier. Un sans-faute graphique bénéficiant d’une superbe musique.
Toutefois le côté lugubre de Jane Eyre aurait du être accentué mais les producteurs, ayant pris peur devant tant de prises de risques ne collant pas vraiment avec l’« esprit » fleur bleue du roman de Charlotte Brontë, ont jugé bon de couper vingt minutes définis comme parmi les plus mad. Quel dommage, on n’ose imaginer ce qu’aurait pu donner une telle ambiance si elle avait été laissé intacte. Pour une version longue ?
D’ailleurs pour souligner le côté épouvante de Jane Eyre, la salle a sursauté sur un passage n’ayant rien à renier aux classiques du genre.
Peu importe parce que Jane Eyre n’est pas seulement une histoire d’épouvante mais aussi l’histoire d’une femme. Une femme visant à être libre et à surpasser sa condition de tricoteuse, de femmes de ménages, d’individu inférieur aux hommes (la voir se rebeller contre le sadisme de son cousin le prouve). Plusieurs fois, le sujet reviendra et toujours impeccablement grâce à l’excellent jeu de l’australienne Mia Wasikowska, les origines polonaises de la jeune femme lui permettent de s’intégrer à merveille dans cette Angleterre malade et froide, mais pas seulement, la jeune Amelia Clarkson, incarnation de la version jeune de Jane, a permis à Mia de bénéficier d’un background étoffé dans ce qui est un des passages les plus marquants du film. La jeune Jane ayant débuté dans la vie par une suite d’évènements tragiques. L’une des séquences sera même révélatrice de la force de Jane Eyre, une femme bien meilleure que des millions d’hommes mais malheureusement née à la mauvaise époque.
De l’autre côté, Edward Rochester sera celui ayant été capable de voir l’oiseau ayant soif de liberté emprisonné dans une cage, brimée par des années d’éducation inhumaine. Débutera entre eux, un amour passionnée, il ne pouvait en être autrement, toutefois Edward cache un lourd secret, manié à merveille par le réalisateur en jouant sur une ambiance délibérément inquiétante. Pour l’incarner, on a choisi Michael Fassbender, entre autres grâce à son caractère bankable (les producteurs ont dû rugir de plaisir) mais surtout parce grâce à son talent. Il faut dire que l’acteur est doué, très doué pour interpréter des personnages bourrés de fêlures. Ce n’est pas pour rien s’il a réussi à faire oublier Ian McKellen pour le rôle de Magnéto. Toutefois le chef-d’œuvre Shame est le film ayant fait éclater le talent de Michael à la face de monde cinématographique. En tout cas, le choix du germano-irlandais s’est révélé juste tant il subjugue par sa capacité à la fois de se révéler fragile un instant et terrifiant le moment après.
Jamie Bell et Judi Dench souffrent pour exister face à ces deux acteurs merveilleux et n’offrent qu’une prestation classique. Judi Dench reprenant un peu le même rôle que dans My Week With Marilyn, femme âgée soucieuse à propos de Jane/Marilyn. Jamie Bell souffre d’un temps de présence réduit et de la prestation énorme de Michael Fassbender, il n’arrive pas à surpasser sa condition de simple faire-valoir catalyseur.
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