Otar Iosseliani a indéniablement un univers : il est fait de "gens de pouvoir" d'un côté, de marginaux de l'autre, ces derniers picolant plus souvent qu'à leur tour, ici dans un bistrot ; de ruelles de Paris où se croisent les protagonistes ; d'animaux, parfois les plus improbables qui se baladent dans le champ (ici, un toucan qu'on trimballe, un guépard dompté comme un chat) ; d'un humour basé sur des situations incongrues qui, ici foisonnent. Tout cela était présent dans le réjouissant Adieu, plancher des vaches et l'on a grand plaisir à le retrouver. Dont acte : ils ne sont pas si nombreux, les cinéastes qui ont su développer un univers aussi caractérisé.

Jardins en automne commence plutôt très bien, dans une fabrique de cercueils où trois hommes de tailles différentes se chamaillent pour un modèle ! Il sera en effet question de mort dans le film, fût-elle symbolique, puisque Vincent va perdre son poste de ministre, et par voie de conséquence sa compagne très accroc à son train de vie. Les scènes au ministère sont délicieuses : Vincent jouant à la crapette, Vincent faisant des haltères, Vincent négligeant de signer dans le parapheur, puis, après sa démission, choisissant, même tête en bas (!), ce qu'il conserve des multiples cadeaux qui ont jalonné son parcours de ministre. Tout cela est très enlevé, drôle, cohérent.

Vincent est rendu à la "vraie vie" et il s'y adapte avec le plus parfait naturel. Une belle idée, bien à rebours des clichés. Quittant son ancien domicile, il monte sur la mob de la fille venue fermer la maison. Le voilà rue de Paradis, ayant quitté l'enfer doré du ministère sous les quolibets de la foule. On va le suivre, multipliant les maîtresses (ou les simples amies ?), draguant une jeune pianiste, prenant sa guitare, en fauteuil roulant...

C'est là que les choses se gâtent, Iosseliani donnant libre cours à son inspiration, multipliant les scénettes sans plus se soucier de propos d'ensemble.

Certaines sont délicieuses : la compagne dispendieuse qui veut absolument imposer sa statue antique, Piccoli assez irrésistible en mère de Vincent lui donnant comme à un enfant de l'argent et les codes de ses cartes bancaires avant de lui lancer un "allez, file maintenant !", le ministre chauve qui s'échauffe contre tout le monde, le nouveau ministre qui comme son prédécesseur ne peut se passer de sa maman, les journalistes qui assaillent Vincent pourtant plus ministre qui retrouve un homologue africain.

D'autres beaucoup moins : le baquet d'eau sur la tête, les squatteurs africains qui se croient tout permis, l'huissier qui se fait assommer, la fête qui se termine en pugilat, le copain bourré hébergé chez la mère... Pas mal de longueurs. Certes, Iosseliani a pour lui cet atout : il surprend. Aussi reste-t-on en alerte, en se demandant sans cesse ce qui va surgir, et les deux heures ne paraissent pas si longues que ça.

Mais lorsqu'on suscite le désir, on prend le risque de décevoir. C'est un peu ce qui se produit ici. Les acteurs ne sont pas toujours justes, ce qui n'aide pas non plus. Nettement en-dessous de Adieu, plancher des vaches qui était, lui, doté d'une véritable ossature narrative. Estimable tout de même, pour les raisons invoquées au début de cette critique.

Jduvi
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le 19 mai 2020

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