J'aura vu un grand film !
Et dire que j’y suis allé un peu par hasard… Je n’étais pas censé écrire d’article dessus, mais j’avais un petit temps libre dans mon périple cannois et en plus, avouons-le, la présence du grand Viggo Mortensen dans la salle m’a décidé à aller voir ce film argentin dont je n’avais pas du tout entendu parler Jauja de Lisandro Alonso.
Et bien, mes amis quel choc ! Le voilà, mon véritable coup de cœur cannois. En plus, le pitch est assez facile à résumer : c’est l’histoire de Viggo qui marche sur des cailloux pendant une grosse heure et demi. Je suis sûr que je n’ai pas besoin d’aller plus loin et que vous êtes déjà tout excités à l’idée d’aller voir ce petit bijou. Mais laissez-moi en dire un peu plus quand même, pour justifier mon séjour à Cannes auprès des grands chefs de Cinématraque.
Tout d’abord, soyons clairs, ce film est une expérience. Il ne faut pas s’attendre à beaucoup de scènes d’action. D’ailleurs beaucoup de mes voisins de salle sont partis avant la fin, je profite ainsi d’être sur internet pour maudire éternellement ce malappris qui a mis une bonne minute pour sortir de mon champ de vue et qui m’a fait rater ce moment crucial du film où Viggo marchait dans la plaine, sur des cailloux.
Bon, je moque gentiment de l’intrigue, mais si je suis sérieux, je m’emporte vite. Jugez-en par vous-mêmes : ce film est vraiment un chef-d’œuvre. Et si vous n’avez pas une allergie féroce aux films un peu contemplatifs, allez-y les yeux fermés. Le choix d’un cadre 1.33 (comme dans le film d’Amalric) peut surprendre étant donné que (presque) tout le film se déroule dans de larges plaines infinies. Pourtant cela marche très bien puisque le capitaine (joué par Viggo Mortensen donc) semble ainsi enfermé dans une quête sans but. Tandis que les paysages s’étalent sur des kilomètres devant lui, ce père n’a que sa fille disparue en tête et celle-ci semble volatilisée. Le cadre carré nous rapproche de cet homme solitaire et impuissant. Les plans se succèdent et semblent de plus en plus beau. On se perd totalement dans ce chemin de croix, on perd les notions de temps et de distance, on se sait pas si le capitaine suit une route bien précise ou tourne en rond sans but. Tout le film joue sur cette perte de repère des personnages mais aussi des spectateurs. On ne sait pas très bien quand ni où se déroule l’action. Le héros est Danois mais parle en espagnol avec les autres membres de son équipage. On ne sait pas non plus ce qu’ils font là, mais eux-même ne le savent sûrement pas. Démunis de toute information, on ne peut que se reposer sur ce qu’on ressent : le bruit du vent sur la plaine, des cailloux écrasés, des sabots de cheval, d’un homme qui continue à marcher malgré la soif et la fatigue. Le film nous attrape et ne nous lâche plus, on sort du temps et on est totalement soumis à la beauté de la nature sauvage, de la lumière sur les collines pierreuses, de la nuit qui tombe sur un homme aussi perdu que nous.
Difficile de sortir d’un film comme celui-là. La dernière demi-heure mystérieuse, voire mystique, achève de nous déboussoler et il faut bien quelques minutes pour revenir à la réalité. D’aucuns diraient que Jauja est « difficile d’accès ». Il repose surtout sur la capacité du spectateur de s’abandonner au périple proposé. Une fois perdu dans la plaine sauvage, c’est un voyage dont on ne revient pas. Lisandro Alonso, arrive avec le strict minimum, à nous suggérer sans rien nous montrer un univers infini d’une poésie rare. N’est-ce pas ce que l’on demande au cinéma ?
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