Au commencement, un homme et sa fille au milieu d'un paysage perdu en lui-même. Ils regardent, échangent quelques mots. Ensuite, des paysages désertiques et gargantuesques, des individus perdus dans des recoins d'immensités. Ils sont comme au théâtre, figés, englués. Perdus par tant de beauté, tant de grandeur. Dépassés par des paysages sans noms, sans vie.
Ici, là-bas, c'est comme s'il n'y avait plus de temps. Arrêté, dans un silence de vide, par trop d'immensité. Le temps intemporel d'un monde où la rareté des mots, des gestes, des mouvements, sortent comme une incongruité. Des personnages de cire, les pions d'un jeu d'échec figé par le monde autour d'eux, bien trop grand, bien trop immense, à l'infini inconcevable. L'absurdité d'individus parmi un monde sans vie, nullement destiné aux hommes. Alors on dirait des cowboys de western au milieu du désert.


Ainsi, les plans n'évoluent pas. Demeurent encrés dans une lenteur inconcevable, qui, à la longue, devient systématique, prévisible. Les mêmes plans contemplatifs de paysages à couper le souffle, où il n'y a rien, seulement le lent mouvement d'herbes qui volent au même rythme qu'un léger vent. Et puis cet homme qui cherche sa fille après qu'elle se soit enfuit avec un garçon, dans cette immensité asphyxiante, inquiétante, sans vie.
Alors la fille se la coule douce avec un garçon, et le père cherche. Et il cherche, cherche cherche sur son cheval, pendant des heures, des jours, on ne sait plus vu que le temps est intemporel. Parmi les paysages de la Pampa argentine, rocailleux, désertiques, foudroyant de beauté et de mystère, Dinesen avance. Et à force, on ne sait pas où il va. Il piétine, se perd. Et le silence, le silence autour. Les plans systématiques qui reviennent comme un refrain. Qui filment la vie sans vie, ne bougeant pas d'une semelle. Parfois des cadavres d'hommes ensanglantés, comme une absurdité de plus, deux indiens qui s'arrêtent aux milieu de nul part sur leur cheval. Parfois un chien, puis une grotte, une mystérieuse femme à l'intérieur, qui prononce à Dinesen des choses incongrues, sans sens. On se pose des questions, on écarquille les yeux, on fronce les sourcils, on se dit même "Mais qu'est-ce que c'est que ce film ?". Et puis tant pis, on regarde la vie d'un film s'emplir sous nos yeux. Ou se désemplir, par trop d'incongruité, de non sens.
A la façon de David Lynch version Antonioni, Lisandro Alonso perturbe notre petit cerveau de spectateur, dérange les codes narratifs, désacralise la compréhension. Car bien sûr, on ne comprend rien, rien de rien, et Alonso s'en fout éperdument. Surtout lorsqu'au beau milieu de nul part, en plein cœur du film, lorsque Dinesen s'enfonce petit à petit dans une mer de roches sinistre et infinie, le film change soudainement de temporalité, nous amenant à voir une époque actuelle qui se passe de nos jours : une jeune fille se réveille dans une chambre luxueuse, dans un immense château, en petite culotte et débardeur rose : est-ce la fille de Dinesen, celle à la longue robe bleue vue au début du film ? Est-ce quelqu'un d'autre ? Un rêve ?
Et puis tant pis, on comprend rien. Et ça nous énerve de ne rien comprendre. D'assister à un film à la beauté langoureuse, au format carré avec bords arrondis qui ne sert strictement à rien. Du superflu qui emprisonne l'image au lieu de la sublimer en plein écran.
Malgré des images, une esthétique époustouflante, une très belle lumière, une photographie étincellement, des cadrages à la perfection qui se tiennent là comme un tableau, le film de Lisandro Alonso se perd en lui-même, comme ces personnages, ces paysages, dans une lenteur, et surtout une incongruité, un manque total de perception.


"Alonso signe son film le plus accessible et le plus radical." disent les Cahiers du cinéma. Alors, oui, on comprend mieux.
La difficulté à rentrer dans une telle œuvre dénuée de sens. Même le réalisateur le confirme. Il ne sait pas ce qu'il a voulu dire. Et d'ailleurs, cela n'a pas d'importance. "C'est comme lorsque tu regardes un tableau et que tu ne te demandes pas pourquoi le peintre a utilisé du rouge, du bleu ou du jaune. Tu le regardes, tout simplement."
De ce point de vue là, c'est tout à fait acceptable bien sûr, complètement compréhensible.


Mais parfois, tout simplement, la sauce ne prend pas. Le cinéma ne doit pas être seulement de l'art contemporain. Le cinéma est là pour raconter des histoires et amener le spectateur au rêve.


Ici, ça n'a pas marché.


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Lunette
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le 17 mai 2015

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