« Le rêve a un pied dans le présent et un pied dans l’enfance », cette réflexion de Freud illustre impeccablement « Je me tue à le dire », tant le premier long métrage de Xavier Seron se joue de flashs qui transpercent avec autant d’onirisme que d’ironie une dramatique réalité. Michel Peneud (ça ne s’invente pas !) est une espèce d’adulescent lymphatique dont la vie est dévorée par l’omniprésence de sa mère, situation complexe d’un Œdipe mal géré. D’autant plus que la mère, condamnée par un cancer, use et abuse de la situation. Nous ne sommes pas pour autant dans un film à la Pialat. Les sources conflictuelles ne tiennent pas à cette situation glauque, mais bel en bien à sa fin annoncée, le décès.
Avant même d’évoquer le fond, comment ne par parler des acteurs ? Le duo Jean-Jacques Rausin/Myriam Boyer est sensationnel ! Lui en filigrane de justesse, incroyablement touchant, Myriam Boyer, signoresque, dont on se dit combien le cinéma a été bien injuste envers elle. Dans leur sillage, Riaboukine (quelle présence !), Berroyer (magnifique !) Bruno (surprenant !)… jusqu’à la présence amicale incognito de Wim Willaert. Un casting hors classe !
Par sa forme de compte-à rebours, ce sont six tableaux qui viennent illustrer, par phases, cette période si particulière qui mène tout droit au deuil. L’approche est ici quasi mystique dans les grandes étapes de la vie (naissance, adoration, communion d’esprit, annonciation de la maladie, sacrifice, résurrection…). La mère ici déifiée, n’est que l’expression de l’incroyable douleur de Michel qui ne se résout pas à la perdre. Cette souffrance provoque alors des comportements parfois borderline et incompréhensibles, une certaine injustice (s’en prendre à l’être aimé justement parce qu’il ne sera bientôt plus) et des moments de grâce absolue (ah ces regards échangés pendant la valse au salon !). L’Amour filial est omniprésent et Michel ne sait comment le gérer. Il est un peu comme un enfant qui préfère occulter ou contourner le mauvais, au point de se projeter lui-même au cœur du supplice.
Pour autant, le film n’est jamais sinistre, bien au contraire ! Il véhicule même un vrai message d’optimisme par cette piéta si particulière que nous offre le final. L’humain ne meurt jamais tout à fait, la transmission à la génération suivante insuffle sa survie. Et puis cet humour burlesque (parfois grotesque aussi) et décalé qui plane sur tout le récit offre nombre d’aérations salvatrices. « Je me tue à la dire » par son côté très ludique dédramatise le propos sans pour autant en altérer sa force !
On suivra avec un intérêt plus que soutenu le parcours de Xavier Seron. Son approche visuelle (noir et blanc, nombreuses références picturales, sens du cadre…) est des plus réjouissantes. Entre surréalisme et oulipisme, son univers est intrigant, fascinant et très efficient. Il se sent proche d’un Roy Anderson ou de Tati (on perçoit en effet quelques inspirations) mais il y apporte une dimension supplémentaire, celle de la cruauté sous-jacente qui transforme la farce bouffonne en une tragédie du quotidien. Et là, on pense à Kim Ki-duk et à sa « Pieta » dont les similitudes, en dehors même des thématiques, surprennent. Xavier Seron, se place d’ors et déjà comme un très grand nom du cinéma !