Au fil de sa carrière, Walter Salles a continuellement arraché le Brésil des clichés auxquels ont peut le rattacher. Le pays n'est pas une simple toile de fond, Salles dévoilait avec Central do Brasil un contexte social inquiétant. Dans Je suis toujours là, c'est une page de son histoire elle-même que le réalisateur convoque. Et pas la plus belle, puisqu'elle relate un épisode méconnu confrontant une famille à la dictature militaire au début des années 70 quand des soldats du régime arrête le patriarche. Le sujet est d'autant plus prégnant pour Salles qui a connu les Paiva, et en sait un rayon sur les questions d'absence et d'exil.


Pendant une première partie, la caméra de Salles s'attache à suivre chaque personnage. Ça déborde d'amour et d'énergie dans le foyer, on nage, on change, on danse. Les enfants jouent, les adolescentes rêvent d'évasion et les parents s'en amusent tout autant. C'est dynamique et ça dure; une douce euphorie inhibe chaque photogrammes. Le metteur en scène joue d'ailleurs avec cette nostalgie, avec l'utilisation pellicule et la reproduction de films de famille en 8mm. Comme la résurgence d'un temps passé qui vient déborder sur le présent. Walter Salles s'attarde sur ces moments et c'est pour une raison précise. Lorsque la bascule s'opère, le spectateur la ressent comme une cassure nette. Un manque. Une absence, oui.


On aurait pu craindre qu'après cela, le rythme ou l'intérêt faiblisse. Il n'en est rien, Salles s'appuie sur ce premier acte pour mettre sa famille face à une privation et révéler sa force, particulièrement celle d'Eunice, la maman (Fernanda Torres, incandescente). Si elle ne peut se permettre de craquer devant ses enfants, il ne s'agira jamais de résilience mais de résistance. La grande beauté du film est de rappeler le courage de ceux qui tiennent debout, ceux qui vivent malgré tout (la scène avec le photographe de presse) et qui se battent pour que rien ne s'efface. Si les coupables ont la possibilité de nier leurs crimes, le temps est un tueur bien plus coriace à affronter. C'est ainsi que le récit fait des bonds dans le temps, que le grain de la pellicule disparaît, et que la mémoire reste le plus bel acte de résistance.


Quand Je suis toujours là boucle la boucle et dévoile les vraies photos de la famille Paiva, l'émotion et le vertige prennent à la gorge. Son succès au Brésil n'est pas un hasard, alors que la situation politique du pays inquiète (certains appellent même à un retour du régime militaire). S'il faut retirer quelque chose de ce plébiscite, c'est que la population n'a pas envie d'oublier. Comme l'indique l'un des titres de l'excellente bande-originale, "É Preciso Dar Um Jeito, Meu Amigo"/Nous devons trouver un moyen, mon ami. Et partager l'Histoire est un bon début pour éviter les mauvaises fins.

ConFuCkamuS
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le 19 janv. 2025

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