Chronique : Fresque familiale et poignant drame historique, Je suis Toujours Là revient sur le combat d’Eunice Païva pour faire reconnaitre les crimes de l’état brésilien pendant la dictature militaire (1964-85) et en particulier le meurtre de son mari, Rubens Paiva, qui n’est jamais réapparu après son arrestation en 1971.
Loin de l’académisme de certains biopics, Walter Salles fait preuve d’une grande créativité dans sa mise en scène et d’une énergie contagieuse dans son montage. Il livre un récit d’une formidable fluidité, sans gras ni digression inutile et d’une précision redoutable pour raconter l’essentiel sans jamais oublier d’imposer un style affirmé et de susciter une profonde émotion.
Il peut compter pour cela sur une superbe reconstitution du Brésil des années 70, plus particulièrement de Rio et de Copacabana, cette plage mythique au bord de laquelle vit la famille Paiva. Le film est alors rythmé par des musiques disco et latino, l’image entrecoupée de vidéos filmées en super 8 par la fille aînée, renforçant son effet vintage. L’atmosphère y est joyeuse, lumineuse même, bien que l’on devine un danger menacer ce fragile équilibre. Ce moment de bonheur inquiet et insouciant est le premier des trois temps qui composent Je Suis Toujours là. Le ton du film change totalement dans sa deuxième partie qui voit Rubens, Eunice et leur fille cadette être arrêtés par l’armée. La noirceur gagne la mise en scène de Salles, suggérant, plus que montrant, les méthodes violentes et révoltantes de la dictature militaire. Libérée mais prenant conscience que son mari de reviendra pas, Eunice va alors se lancer dans le combat d’une vie, celui de la reconnaissance des atrocités du régime et de l’assassinat de son mari. Cette quête compose le dernier tiers du film et clôt cette grande et bouleversante fresque familiale.
Sans rien imposer, avec la simple force du récit et l’incarnation vibrante de ses personnages, (exceptionnelle Fernanda Torres), Walter Salles assène un message politique percutant contre les crimes des régimes totalitaires passés, mais adresse tout autant un avertissement aux générations actuelles et futures, les exhortant à toujours rester vigilants et à ne rien oublier, alors que les partis populistes gagnent du terrain dans à peu près toutes les démocraties du monde.
En disséquant les rouages et les conséquences de 20 ans de dictature militaire et la difficile reconstruction de son pays, le réalisateur brésilien livre une œuvre à l’incroyable force testimoniale, mêlant magistralement l’intime et le récit collectif et capture des destins particuliers au cœurs de grands bouleversements historiques.
Il démontre une nouvelle fois toute la force et l’intelligence de son cinéma et sa capacité à délivrer de grands films conscients.