Jeanne Herry, la réalisatrice de l'excellent film Pupille (2018), nous propose ici un long métrage très intéressant sur le thème original de la justice restaurative, reprenant 3 de ses acteurs importants : Miou-Miou, Elodie Bouchez et Gilles Lellouche.
Pour bien comprendre ce qu'est ce processus judiciaire méconnu, reprenons ici ce qu'il en est dit officiellement :
"Consacrée dans le droit pénal français, la justice restaurative (appelée aussi « restauratrice » ou « réparatrice ») a pour ambition l’écoute et l’instauration d’un dialogue entre les participants, la reconstruction de la victime, la responsabilisation de l’auteur et l’apaisement, avec pour objectif plus large le rétablissement de la paix sociale. Ce modèle de justice, consacrée dans le droit pénal depuis 2014, participe également à limiter la récidive." (https://www.justice.fr/justice-restaurative)
Par une mise en scène rigoureuse et proche du documentaire, mais passionnante, Jeanne Herry nous présente alternativement dans son film deux situations indépendantes, l'une collective (avec 3 victimes et 3 agresseurs confrontés en plusieurs réunions successives), et l'autre individuelle, ce qui apporte rythme et respiration, par deux approches différentes du processus.
Les huis clos de la méthode collective peuvent paraître pesants (une seule situation expliquée par un agresseur se fait à l'aide d'une courte scène filmée), mais ils montrent la grande variété des échanges et des interrogations du côté des victimes qui cherchent du réconfort, à défaut de véritable reconstruction, ainsi que les agresseurs qui expliquent leur vies et leurs motivations sous des angles variés et originaux qui nous surprennent. Toute l'importance de la démarche scénarisée réside dans les mots échangés, leur justesse, ainsi que la puissance des dialogues, que l'on sent parfaitement préparés, mais qui n'empêchent pas l'effet de spontanéité indispensable pour qu'au-delà des événements traumatisants, la vérité humaine, les émotions et les peurs réciproques puissent resurgir, de manière cathartique, et qu'une forme de compréhension réciproque, voire de réparation ne s'installe. C'est bien évidemment compliqué et difficile, voire paradoxal, et le spectateur jugera si cela paraît in fine crédible.
De manière très différente, la méthode individuelle nous fait vibrer avec une jeune femme, jadis victime de viols incestueux par son grand frère, et qui ne le voit plus depuis plusieurs années après l'avoir fait condamner; comme il revient vivre dans la même ville que sa sœur, elle se prépare à le revoir pour sonder ses intentions et fixer les règles leur permettant de ne jamais se croiser; mais au fond d'elle-même elle est très malheureuse : "Je n'ai plus de frère, je l'aimais bien mon frère". C'est traité avec beaucoup de sensibilité et le final nous remplit d'une émotion certaine !
De manière très didactique, la réalisatrice insiste sur la formation des médiateurs et des encadrants (professionnels CPIP - Conseiller Pénitentiaire d'Insertion et de Probation - , ou bénévoles), avec notamment une qualité d'écoute irréprochable et des phases préparatoires de plusieurs mois pour rendre possibles ces rencontres potentiellement à haut risque et dont les conséquences pourraient facilement être inverses à l'effet recherché. Le film montre ainsi les médiateurs très souvent ensemble, faisant corps, pour se préparer à ce qu'ils appellent "Un sport de combat".
Pour incarner toutes ces situations, ce qui fait la vraie force du film ce sont ses acteurs parfaitement dirigés, convaincus et fortement impliqués dans leurs rôles, dont nombre de renom :
- Denis Podalydès, dans le personnage appliqué de Paul, l'organisateur global avec un jeu impeccable et crédible de garant des processus;
- Le duo magnifique, très juste et plein de sensibilité, Adèle Exarchopoulos (jouant Chloé la jeune femme agressée sexuellement dans son enfance) et Elodie Bouchez la médiatrice à l'écoute extrême des émotions et des maux de Chloé;
- Parmi les autres médiateurs Jean-Pierre Darroussin (Michel) et Suliane Brahim (Fanny), qui préparent et installent avec pudeur la confiance pour les confrontations collectives;
- Les victimes Miou-Miou (Sabine, agressée dans la rue et qui a désormais du mal à sortir de chez elle), Leïla Bekhti (Nawelle, employée attaquée dans une supérette et qui ne s'en remet pas) et Gilles Lellouche (Grégoire, entrepreneur victime de homejacking et furieux de ne pas avoir su protéger sa fille), tous les 3 délivrant un jeu juste et d'une grande profondeur, capables d'une force de répartie étonnante avec les braqueurs;
- Les agresseurs Fred Testot (Thomas le drogué multirécidiviste et incroyablement conscient de son état), Dali Benssalah (Nassim le repenti prêt à sortir et à commencer une nouvelle vie) et Birane Ba (le jeune Issa inconscient et irresponsable de ses actes).
Même si l'on peut regretter de trop longues séquences en huis clos, ce film sérieux est à voir pour sa mise en scène multi-facettes de la justice restaurative et qui montre avec une certaine émotion comment on peut (ou non) réparer avec les mots. En tout cas, chacun peut évaluer la pertinence de la démarche au regard des moyens en jeu !