Je ne comprends pas du tout l'engouement autour de ce film qui réussit l'exploit d'être très contradictoire entre son propos et la manière dont il est mis en scène. Je verrai toujours vos visages a beau déborder de bons sentiments et d'humanité, il ne laisse place à la parole que par le biais d'un montage académique et très découpé, et la façon de présenter ça avec cette ribambelle de comédiens rend le tout très faux.
Si le propos de base est particulièrement intéressant, d'autant plus qu'il s'agit d'un système qui ne fait pas l'unanimité politiquement et moralement, la façon qu'a Jeanne Herry de le représenter ne le met pas du tout en valeur. Si l'objectif est de nous présenter le procédé comme un moyen de libérer des fantômes d'un passé difficile (victime comme agresseur), une mise en scène plus appuyée et personnelle aurait rendu l'expérience forte dans ces relations entre les personnages et leurs regards de jugements et d'incompréhension. Or ici, tout est très académique : le montage est parfois sur découpé, avec de raccords dans l'axe bizarre, des champs contre champs classiques en permanence, une volonté omniprésente de dynamiser la parole en variant les plans, mais aussi les séquences hors de propos complètement sans intérêt, comme les quelques scènes des animateurs de la justice restaurative qui boivent des coups ou préparent des nuggets frites.. Tout cet assemblage transforme le récit en un pur cliché que les personnages représentent presque comme des caricatures. Le récit parallèle qui se déroule avec Chloé, jouée par Adèle Exarchopoulos, a peut-être un intérêt plus poussé car plus intime dans sa construction et surtout dans la manière dont une victime accepte de rencontrer son agresseur. Dans la séance principale, tout est très linéaire et plat, on sait exactement comment la réalisatrice va dérouler le programme : on sait qu'il y aura des disputes au début, puis des moments calmes, des remises en questions (mais du tout très excessives), puis des rires et enfin une amitié qui se dévoile entre eux.
Et le fait que toute cette mise en scène déjà très prévisible et qui ne laisse jamais le temps à la parole par un découpage très contradictoire soit mise en avant par un catalogue de comédiens professionnels et une écriture au peigne fin finalise le ton très faux constant du long métrage. Un documentaire, ou bien une fiction avec des comédiens non pros aurait certainement rendu le procédé beaucoup plus impactant car l'immersion aurait révélé quelque chose de l'ordre du réel de ces entretiens. L'ambiguïté entre les victimes et les agresseurs, des incompréhensions peut-être plus subtiles, des paroles et des dialogues inattendus, ou bien des regards plus juste, voire une haine difficile à intérioriser.. Ici, tout est très théâtral, tout le monde joue la tragédie comme dans un pur film américain, Gilles Lellouche toujours en tête. Même Fred Testot que je me faisais un plaisir de redécouvrir au cinéma ne déroge pas à la règle. Et le fait que toutes ces histoires et ces échanges soient chorégraphiés comme dans n'importe quel autre film lambda empêche de réellement croire à ce que l'on nous montre. Et Jeanne Herry semble en être consciente puisqu'elle mélange cette séance avec celle de Chloé qui dispose d'une mise en scène totalement différente du reste (avec ces images de flashbacks un peu étranges, qui ne vont pas avec le ton du film, car ils relèvent d'une intimité plus forte mais comme on est que secondairement avec Chloé, ça marche pas très bien..) pour finir sur cet entretien final qui manque là aussi de subtilité et de puissance même si la froideur des dialogues a ici une certaine efficacité compte tenu du passé des deux personnages.
Mais il est d'autant plus dommage de terminer tout ce film par une cristallisation de tous ces problèmes. De finir sur une fin joyeuse et libératrice alors que le long métrage ne nous a jamais vraiment transporté et n'a jamais pris le temps de réellement maintenir la parole (qui est quand même le centre du propos) avec une mise en scène qui le justifie. C'est du théâtre de comédiens qui appuie sur des émotions qui auraient pu être flamboyantes avec une ambiguïté plus formelle et réaliste.