Only God Forgives
En vingt ans de carrière, Tran Anh Hùng n’a réalisé que quatre films, trois étant des drames centrés sur le Viêt Nam. Pour le quatrième, il change totalement de registre et se penche vers le...
le 6 juil. 2020
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Au vu du quatrième film de Tran Anh Hung, on pourrait dire que le cinéma de l’auteur est fait d’alternances. Son premier long métrage, L’odeur de la papaye verte (1993) était un masterpiece technique doublé d’un film délicat et sensible centré presque exclusivement sur des figures féminines… Lorsque Cyclo (1995) fut un film plus viril, plus masculin, mais néanmoins tout aussi délicat et sensible, en filigrane. A la verticale de l’été (2000) renouait avec le cinéma de bonnes femmes ou toutefois, les hommes avaient largement leur place, tandis que I COME WITH THE RAIN nous raconte à nouveau, une histoire d’hommes. Un polar malade, où passages à tabac, mutilations, morts et meurtres sont légion, bien qu’ils ne servent pas le récit; ce qui intéresse Tran Anh Hung semble plutôt être l’étude théologico-émotionnelle de l’âme humaine, dont la violence émaillant le film semble être le dénominateur commun à toutes les facettes.
Les personnages du film vouent ainsi chacun, une foi latente à une idole. Drogue, argent, Dieux, chair, mort, oubli, pouvoir, ou encore justice… Divinités matérielles ou immatérielles étant les seules à pouvoir apporter des réponses à leurs questionnements existentiels, au travers de leurs différentes tragédies. Le scénario tortueux du film est ainsi construit de façon à organiser les confrontations entre ces différentes fois, en dépit de toute logique de narration ou de vouloir captiver le spectateur par le récit… Ce qui intéresse Tran Anh Hung, c’est d’observer ces chocs mélancoliques frappant les personnages, lorsqu’ils se font brutalement extirper de leur confort religieux. I
COME WITH THE RAIN se pare d’une profondeur assez fascinante, si tant est que l’on s’en tient à cette clé de lecture;
PHOTO : symboles christiques à la pelle
Le récit ouvre par exemple, plusieurs pistes scénaristiques – du passé trouble de Kline, confronté à un serial killer d’inspiration Lovecraft-ienne (sic), au statut de gourou du disparu Shitao, en passant par une immersion dans la mafia locale, l’histoire liant le boss de cette mafia à une femme qui le fascine, ou encore l’observation de mœurs policières, et sans oublier cette évocation des rapports (économiques, sociaux, culturels) entre les Philippines et Hong Kong… Passionnantes pistes qui ne seront toutefois explorées que d’un unique point de vue, celui de l’implication psychologique et émotionnelle d’événements violents sur les personnages, comme mises à l’épreuve donc, de leur foi. On ne peut s’empêcher de se dire que d’autres traitements étaient également possibles, ou du moins auraient pu cohabiter dans un certain équilibre.
Cette logique de la mélancolie valide également l’étrange casting du film. Si le monolithisme de Josh Hartnett sied bien à son personnage d’observateur empathique mais paradoxalement nihiliste et émotionnellement distant, le choix de l’angélique Byung-hun Lee peut surprendre dans le rôle du « plus odieux des salopards »… Sauf si l’on se dit que Tran Anh Hung cherche cette lueur fugace qui exprime la détresse la plus totale chez un homme qui ne doit rien laisser paraître, et que pour cela il expose le personnage interprété par l’acteur coréen, à des situations blessant constamment son orgueil et ses sentiments. Idem pour le Cronenberg-ien* Elias Koteas, qui lui, explore des voies plus métaphysiques à travers son personnage pourtant très caractérisé, de serial-killer. Quant à l’habituellement solaire Tran Nu Yên-Khê, on se désole de la voir ici tant sous-exploitée, dans un vulgaire rôle de femme objet à sauver.
La bande son du film est en outre, régie par la même composante mélancolique; Climbing up the wall de Radiohead, est par exemple, une chanson qui exprime très bien cette peur universelle que nos phobies les plus enfouies prennent le dessus sur nos perceptions – ce qui correspond en soi, à l’état de Kline au moment ou l’on entend la chanson… Toutefois, la musicalité électro-rock languissante du titre ne s’adapte pas à la scène dans laquelle on l’entend, collant idéalement aux regards perdus de Byung-hun Lee et Josh Hartnett, mais dénotant avec ce que le récit tente de nous raconter, à savoir une enquête qui suit inexorablement son cours. Loin d’être un cas unique, il en va de même pour la plupart des épiphanies des personnages, orchestrées aux paradoxaux sons post-rock de Godspeed You! Black Emperor, Thee Silver Mt Zion, ou encore Explosions in The Sky.
Privilégier mélancolie, sensorialité et introspection est donc à la fois la grande réussite du film… Mais aussi ce qui finit par le desservir; I COME WITH THE RAIN cherche trop ostensiblement à lorgner du coté du polar pur jus qu’il est sensé être.
*Nous entendons par Cronenberg-ien: charismatique, viscéral, sensible et cérébral à la fois
PHOTOS : melancoly in thus eyes
La mise en scène du polar en lui même repose ainsi sur des gimmicks très reconnaissables. Ceux du genre (courses poursuites, bagarres, recherche du disparu, influence de la femme fatale sur les hommes, démonstrations de virilité, etc), mais également ceux utilisés par la réalisation: flashbacks, fondus, cuts subits de la musique extradiégétique pour illustrer la gravité de l’action, jeux sur les contrastes, violence hors-champ montrée frontalement par inserts… Bref: ce genre de choses que l’on a toujours l’impression d’avoir déjà vu ailleurs (coucou SE7EN !), mais restent mis en scène avec élégance.
Pour tout le reste, la sensorialité et la délicatesse typique du cinéma de Tran Anh Hung se cumule à une utilisation très poussée de la symbolique, notamment religieuse (croix en pagaille à l’écran, flagellations, bénédictions, etc). Dans l’ensemble, l’impression d’un pas en arrière en termes d’ambitions formelles se conjugue avec une certaine maîtrise des langages cinématographiques dans le but d’accompagner le discours du film.
Malgré la présence d’un acteur populaire comme Josh Hartnett, et d’une enveloppe polardeuse riche, I COME WITH THE RAIN demeure un film inaccessible, hermétique. Il rappelle une autre oeuvre dont le réalisateur semble s’être perdu dans l’exploration exotique de thématiques trop personnelles, Only God Forgives. Là ou Nicolas Winding Refn délocalisait en Thaïlande ses obsessions pour la violence et sa fascination pour La Femme, tente de cartographier l’âme humaine, par les prismes exclusifs de la religion, de la violence et de la mélancolie. Si cela aboutit à un film d’une fantastique profondeur de ces points de vue, cela occasionne également incohérences, ellipses ou facilités concernant le scénario. Quelques recherches nous ont par ailleurs appris que le film s’est finalisé dans le chaos, notamment à cause de conflits judiciaires entre Tran Anh Hung et son producteur. Le montage final, désavoué par son propre auteur, est ainsi peut-être une version tronquée (ou augmentée) du film tel qu’il fut imaginé à l’origine… Ce qui pourrait expliquer pourquoi subsiste un arrière goût d’inachevé, et pourquoi le film semble volontairement restreindre son ambition.
Créée
le 22 août 2016
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