Je vous salue Sarajevo ; Ave Sarajevo ; c’est là une funeste Annonciation que livre le créateur Godard. C’est toute la déliquescence d’une société qui résonne au travers de cette Annonciation qui a pour principal support, pour principale prise, un des exemples les plus flagrants, un des plus insupportables et le plus probant de cet état de fait ; c’est la guerre, ici de Bosnie-Herzégovine, c’est la haine de l’homme envers son semblable, c’est cette violence et cette force autodestructrices inhérentes à l’esprit humain.
Cette déchéance, ce délabrement, cette dégénérescence généralisée, c’est la règle ; la cigarette se confond avec le militaire, couronné de lunettes de soleil, et épié par une voiture.
Une Annonciation funeste en somme qui en s’adressant à Sarajevo personnifiée semble dresser ce message pessimiste et nihiliste ; Sarajevo, vous ne serez malheureusement pas la dernière ; Sarajevo, voyez donc comme la déliquescence et la déchéance sont sans fin ; Sarajevo, voyez comme « il est de la règle que de vouloir la mort de l’exception ».
Mais Godard, dans sa démarche seule, s'oppose et s'insurge contre la règle ; il nous dit l'indicible, il nous dit l’exception, il nous dit cette beauté originelle que nous perdons jours après jours.
Avec une seule photographie de Ron Haviv, une musique et sa voix, Godard parvient à créer une émotion esthétique absolument formidable ; c’est de l’exception.
Et puis le prophète disait vrai, son Annonciation s'est concrétisée; en juillet 1995, l'Europe de la culture assassinait l'art de vivre à Srebrenica.
10/10 et l’indicible autant que l’ineffable n’auront pu être couchés sur le papier.