Nolan a voulu nous dépeindre l'enfer qu'était la vie de Robert Oppenheimer, responsable du projet Manhattan et père de la bombe atomique. Seulement, au lieu de nous en montrer un reflet, ce film n'est en lui-même qu'une vision de l'enfer.
Peut-être même ce film n'a-t-il pas pour sujet Robert Oppenheimer mais Christopher Nolan lui-même; nous voilà en effet séquestrés pendant trois longues heures dans la salle obscure pour voir le "génie" s'émerveiller, s'extasier et se laisser fasciner par son film, sa réalisation, son cinéma.
Osons donc tendre ici un nouveau miroir davantage pénétrant, lucide et clairvoyant à notre narcisse hollywoodien.
Pour ouvrir cette dissection, notons tout d'abord que c'est en sa durée que repose le problème premier de ce film; alors qu'une durée de trois heures nous est annoncée, nous sont servies que de courtes séquences inachevées qui s'enchaînent dans une indifférence grandissante ne laissant aucune respiration, ne laissant le temps de vivre les personnages, ne laissant pas le silence vivre davantage. Aussi paradoxal cela puisse être nous nous retrouvons finalement face à un métrage tout à la fois accéléré et distendu à l'extrême.
La musique est quant à elle absolument abominable et Nolan est incapable de laisser sa caméra seule face à un sujet, et nous nous retrouvons ainsi assénés de toute part par une musique qui ne s'arrête pas et qui semble presque se soustraire à toute direction de caméra. Il a donc fallu que Nolan oublie que le cinéma, bien qu'il soit une réunion de l'image et du son est par dessus tout une célébration du premier tandis que le second, qui peut et doit venir soutenir et s'entrelacer avec l'image ne doit en aucun cas s'y substituer; autant écouter un podcast en ce cas. En reprenant ce poncif de son cinéma, se croyant superbe, Nolan nous montre finalement la faiblesse avérée de sa caméra et de sa réalisation.
Autant l'écrire dès maintenant, ce visionnage m'a été tout bonnement insupportable.
Alors oui, la séquence sur l'essai Trinity est assez saisissante dans son esthétisme comme Nolan sait en faire. Mais bon, il faut dire qu'au milieu de tant de marasme, n'importe quoi de dynamique aurait pu tirer momentanément le spectateur de sa somnolence, de sa léthargie profonde.
De même, Nolan opère encore une fois à une complexification à outrance qui n'a de grand que sa profonde vacuité; le récit présent de l'audition d'Oppenheimer coloré en noir et blanc pour on ne sait quel raison et qui se rapproche davantage d'un masque que d'un réel choix artistique, les sous-intrigues esquissées, un manque de clarté délibéré, des effets d'une lourdeur absolue faisant apparaître les victimes de la bombe nucléaire aux yeux du physicien sont tout autant de procédés entraînant dans les abysses un métrage qui aurait pu réussir mais qui a du répondre avant tout aux exigences de son réalisateur persuadé de la grandeur et de la profondeur de son prétendu génie créateur.
Si la complexité des métrages de Nolan pouvait encore s'expliquer dans certains de ses films, à l'instar d'Interstellar, caractérisés par un scénario qui joue avec le temps et l'espace augurant une complexité intrinsèque, ici celle-ci apparaît davantage comme une sorte de cache-misère, comme une sorte de direction artistique se substituant à des choix de mise en scène et de réalisation consistants.
Finalement, en étouffant à grand coup de procédés propre à son cinéma un sujet pourtant passionnant, qui aurait pu être brillamment porté à l'écran, Nolan ne fait qu'élever l'échafaud du cinéma et en un sens de l'Art.
En somme, nous nous retrouvons, un peu à la manière de Dune de Denis Villeneuve, face à un métrage esthétique, anesthésiant, lassant et ennuyant qui aura cependant le mérite d'être bruyant à souhait.
Les silènes étaient repoussantes à l'extérieur mais riches en leur cœur; il faut donc croire que les productions de Nolan et leur créateur ne sont que l'antithèse de ces contenants pourtant comparés à tant de génies véritables.
Nolan a voulu nous présenter les tribulations du Prométhée moderne, mais peut-être ne s'est-il tout simplement que dévoilé en Wagner moderne, répondant cinématographiquement à l'ensemble des critiques érigées par Friedrich Wilhelm Nietzsche à l'encontre de l'œuvre et de la personne du compositeur allemand décadent. Nolan serait-il décadent ? Ou pire, Nolan serait-il une maladie rendant le cinéma malade ?
3/10 pour la charité, encore, et la pitié, avant tout.