Œuvre témoin de la grandeur d’un cinéma français qui adaptait sans honte un classique de la littérature nationale empreinte d’un fort accent régional, Jean de Florette de Claude Berri, adaptation cinématographique du roman du même nom de Marcel Pagnol, a tout du grand classique, du chef-d'œuvre intemporel. Traitant avec une justesse de tous les instants cette micro-histoire profondément ancrée dans son époque et dans son cadre géographique pour en extraire ce qui en fait son essence, sa grandeur et son universalité. Berri montre avec ce film, ainsi qu’avec sa suite Manon des sources, qu’il a parfaitement comprit le sens profond du texte de Pagnol. Drame rural aux accents volontiers opératiques, Jean de Florette transcende son récit pour se faire témoin des travers de la nature humaine, comme il le fera plus tard et de façon plus évidente dans Uranus. A travers une galerie de personnages variée, portant tous en eux une ou plusieurs facettes de la nature humaine, Claude Berri dresse un portrait complet de l’homme et de ses travers en le confrontant à la dureté d’une existence paysanne. De l’optimiste, vaillant et obstiné Jean de Florette au machiavélique César en passant par le simplet Ugolin, Claude Berri confère à chaque personnage une complexité inattendue. Le cinéaste évite ainsi avec bonheur le piège du manichéisme : en effet, Jean Cadoret (dit Jean de Florette), ex-percepteur pensant commander à la nature comme à un créancier, se voit vite rattrapé par l’imprévisibilité de cette dernière et participe, de par son obstination, à sa propre destruction. De la même manière, si Ugolin protège jalousement le secret de la source au pauvre Jean, il ne peut ignorer sa culpabilité, la compensant aussi souvent que faire se peut par une générosité sincère envers cet homme avec qui il a fini par se lier d’amitié. Enfin, si le Papet ne recule devant rien pour satisfaire ses ambitions et celles de son cher Galinette, allant jusqu’à assassiner le malheureux Pique-Bouffigue dans l’espoir d’hériter de son terrain, il admet ne pas être indifférent à la souffrance de l’ex-percepteur et ne souhaite guère le voir se tuer à la tâche.
Il est intéressant de remarquer l'importance capitale que revêt le regard dans ce Jean de Florette. Celui qui voit est celui qui est le plus à même de comprendre les situations et de tirer les ficelles, cela concerne ici César et Ugolin, mais également la petite Manon, personnage au combien important car étant de quasiment toutes les scènes aux côtés de son père, elle est témoin des boniments d’Ugolin, de la lente perdition de son père, de la destruction de sa famille et surtout de la révélation finale. Elle devient par conséquent celle qui sait, qui connaît le secret des Soubeyran car a été témoin de leur perfide entreprise. Remarquons au passage que la séquence finale, concrétisation d’un assassinat à petit feu, présage déjà de ce que nous observerons dans Manon des sources : En baptisant Ugolin avec l'eau de la source, soit la motivation et le fruit de leur crime, le Papet, en plus de se faire l'auteur d'un blasphème, place son neveu sous le signe d’un meurtre qui ne le quittera et dont il ne se remettra jamais. Film admirable sur son fond, la forme n’est pas en reste non plus, la superbe photographie de Bruno Nuytten, associée à la mise en scène certes classique mais néanmoins maîtrisée et non sans idées de Claude Berri, retranscrit à merveille la chaleur désertique de l’été provençal et fait très efficacement ressentir au spectateur l’importance de l’eau, tant et si bien que l’on se prend, comme le brave Jean, à espérer voir tomber la pluie. Le manque d’eau devient une psychose tant pour les protagonistes que pour le spectateur.
Jean de Florette, malgré son cadre restreint, possède tout ce qui fait l'essence des grandes épopées cinématographiques. Passionnante autopsie de la nature humaine, ce drame rural intime, familial et universel d’une justesse et d’un équilibre admirable n’est pas sans évoquer la trilogie Le Parrain de Francis Ford Coppola, avec ses personnages aux combines perfides et machiavéliques qui se voient finalement rattrapés puis détruits par leurs méfaits. Ce diptyque n’est en effet pas si éloigné des thèmes de la saga Corleone qui, tout comme l’adaptation de Berri, parle d’hommes avant de parler de truands. Accompagné par une superbe bande originale signée Jean-Claude Petit et d’un casting cinq étoiles (Yves Montand, Gérard Depardieu, Daniel Auteuil…), Jean de Florette s’impose comme un des chefs-d’œuvre intemporels d’un cinéma français qui était encore grand et dont on ne prend la pleine mesure qu’après le visionnage de sa deuxième partie : Manon des sources, qui bien que globalement moins réussi, force, eu égard à son final désarçonnant, à reconsidérer les évènements du premier film à travers un prisme nouveau, d’autant plus terrible et passionnant.