Ce film fait dans la fantaisie intelligente sans trop se prendre au sérieux, genre aussi rare que difficile. La petite Jeanine, 10 ans, a du mal à trouver sa place dans sa famille pourtant très ouverte. Le père (Denis Ménochet) est prof de gym dans son collège. Un anti-conformiste qui s’amuse à ridiculiser les méthodes pédagogiques préconisées par l’Éducation Nationale. La mère (Léa Drucker) est une baba-cool aux principes d’éducation prônant la liberté et la fantaisie. Elle gagne un peu d’argent en vendant du miel bio déguisée en abeille. La petite sœur de Jeanine adore les principes qui règnent à la maison. Jeanine qui aime l’ordre et la rigueur, considère sa sœur comme un boulet. C’est le mercredi que Jeanine s’épanouit, en douce à la salle de gym, observant un groupe s’attachant à écarter tout manquement à un programme bien réglé. Tout à l’opposé du père de Jeanine, le coach incite les jeunes filles à viser la perfection des gestes.
La première impression inciterait à présenter ce court métrage comme un Little Miss Sunshine à la française. En réalité, il s’agit plutôt d’un pastiche intelligent. Intelligent, car Little Miss Sunshine présente lui-même une galerie de caricatures. La référence assumée en est le combi Volkswagen jaune utilisé par la famille de Jeanine pour ses déplacements.
La famille de Jeanine cultive la différence dans la bonne humeur (que Jeanine ne supporte pas car elle la juge niaise), alors que dans Little Miss Sunshine la jeune héroïne est « différente » car incapable de « faire comme les autres » en particulier du fait de son physique de petite boulotte. Comme dans Little Miss Sunshine la famille est ici un milieu très particulier, apparemment aussi insupportable mais pour des raisons diamétralement opposées (à force d’éternelle bonne humeur « forcée ») alors que dans le modèle américain, la famille est présentée comme un enfer parce que chaque individu se révèle plus ou moins déviant. La question que pose ici Sophie Reine est de savoir ce qui est le plus insupportable au final, l’anti-conformisme irresponsable ou bien l’anti-conformisme réfléchi (les deux milieux l’assumant sans hésitation) ?
Comme dans Little Miss Sunshine la petite n’est pas du tout à la hauteur du milieu qu’elle cherche à investir. Comme dans son « modèle » Jeanine impose son show, dérange l’ordonnancement et s’attire l’admiration de ses parents (ici contre son gré). Le milieu des « Little Miss » est caricatural, celui du club de gymnastique qui séduit Jeanine ne l’est-il pas moins ? La conclusion est à la hauteur de ce que le film présente depuis son début. On remarque que si la famille de Jeanine prône la bonne humeur éternelle, quand il s’agit de répondre au téléphone, le père et la mère se renvoient la balle. Et puis, que dire d’une famille écolo-responsable qui fait de son hamster un véritable esclave ?
Voilà donc un film intelligent qui fait plaisir à voir, car il fait réfléchir tout en amusant de bout en bout. La présentation de sa famille par Jeanine vaut le détour, avec une belle collection de détails qui ne doivent rien au hasard (la réalisatrice assume parfaitement l’aspect autobiographique). Le montage met l’accent sur la fantaisie tout en intégrant de petites séquences animées. Ajoutons un joli casting où la jeune Clara Peyrebere se montre à l’aise et ne se démonte jamais. Débordante d’idées, la réalisatrice évite intelligemment le piège de la fantaisie gratuite et propose un final hilarant qui parodie celui de Little Miss Sunshine en utilisant la musique de Téléphone (Cendrillon) pour rythmer la prestation au sol de Jeanine singeant (sans qu’elle s’en rende compte) l’une de celles ayant valu un de ses mémorables 10 à Nadia Comanecci (reine des J.O. de Montréal 1976).
Un programme court (17 minutes), intelligent et bien rythmé, disponible en bonus sur le DVD du film Cigarettes et chocolat chaud premier long métrage de Sophie Reine.