« Jeanne Dielmann, 23 quai du commerce, 1080 BRUXELLES » ou comment être fasciné pendant 3h20 par les plans fixes les plus long qu’il m’ait été donné de contempler au cinéma.
Trois jours dans la vie d’une femme bruxelloise; une heure pour un jour, filmés quasiment en temps réel.
Rarement le cadrage est apparu aussi maîtrisé que dans ce LONG-métrage. Les différents angles de prise de vue nous invitent dans cette maison familiale, à hauteur du sujet.
LE sujet, justement, Delphine Seyrig, incroyable dans ce rôle minimaliste de veuve, occupée à prendre soin d’un adolescent, de la cuisine, des lits, de la vaisselle... Une mécanique quotidienne bien huilée, dépeignant pourtant un malheur passé, présent et probablement futur. Dans cette attitude follement contrôlée, nous sondons les cicatrices ouvertes de Jeanne, ce mal-être insoutenable, enfoui au plus profond d’elle.
Le deuxième jour, lorsque le deuxième homme vient chez elle, au moment de partir, elle oublie d’allumer la lumière de l’entrée pour qu’il enfile son manteau. Ce seul petit manquement va venir signaler le début d’une détresse visible. La mécanique va se gripper et sur une brosse à chaussure qui s’échappe de ses mains, l’angoisse monte. Regarder cette femme perdre de sa structure; d’apparence, est cruel. Une série de dérèglements viendront soutenir cette émotion.
En éternisant au maximum la durée des plans, Chantal Akerman nous donne une séduisante liberté, celle de se balader dans l’image, de se laisser aller aux sons et manières de cette femme à l’aliénation captivante et attristante.
Le privilège d’avoir vu ce film au cinéma justifie d’une approche plus expérimentale, plus immersive. Pas sûr que l’effet eut été si poignant en dehors de la salle obscure.
Merci à cette réalisatrice méconnue, dont l’œuvre semble pourtant fondatrice d’un cinéma unique, considéré et admiré.