J'aime beaucoup le cinéma de Chantal Akerman et ce film ne déroge pas à la règle. Il est la preuve que l'on peut faire du cinéma « militant » (ici féministe) sans tomber dans le pathos, le tire-larme avec toute l'absence de subtilité et le manichéisme qui vont avec. Akerman livre ici un film radical, déjà par sa durée, près de 3h20, mais surtout par son sujet, le quotidien d'une femme au foyer qui fait tout pour son fils unique. On se doute bien que ce quotidien n'est en rien palpitant, aller faire les courses, faire à manger, cirer les chaussures du son fils, faire son lit... faire le tapin pour payer la bouffe... bref la routine.


Mais représenter ça au cinéma et l'étirer pour que chacune de ces scènes soit quasiment en temps réel (faut la voir éplucher ses patates, se laver, verser de l'eau dans son café... c'est long), c'est politique et ça fait sens. Comme disait Godard filmer le quotidien des gens (surtout comme ça, aussi longtemps, en plan séquence fixe), c'est envoyer un message au spectateur, un message qui dit que lui aussi est important puisqu'il peut se voir à présent, lui et sa vie au cinéma. C'est finalement bien plus intéressant et important que tout un tas de choses spectaculaires qui n'arrivent jamais et qui ne parlent à personne. Là on parle de ta vie. Mais là où ça fait encore plus sens, c'est que si l'on décrit le synopsis, forcément on va se dire que c'est chiant quelqu'un qui épluche des patates pendant plus de trois heures...


Sauf que, coup de théâtre, si regarder quelqu'un vivre sa vie faite de routine t'emmerde, c'est peut-être que sa vie est emmerdante, sa vie de femme au foyer (d'où la critique féministe de la société, avec laquelle on peut être d'accord ou non, mais là la démonstration par l'absurde fonctionne très bien). Mais j'irais même au-delà en disant que c'est toute forme de vie bien normée, bien calibrée, qui peut être dénoncée ici. Tous ces gens qui ne font que métro, boulot, dodo peuvent voir ici une représentation de leur vie. Et s'ils trouvent le film chiant, le problème ne vient pas du film, mais de leur vie... On peut difficilement reprocher à un film de montrer le réel, le quotidien... Si l'on veut faire preuve d'intelligence il vaut mieux s'en prendre aux causes (la vie routinière d'une grande partie de la population), qu'aux conséquences... (un film qui montre cette vie routinière)


Cependant, le film n'est pas ennuyant, j'avais vraiment peur de la durée car je dois avouer que tout ce qui fait plus de deux heures me fait un peu peur, surtout que là je savais qu'il ne se passait rien du tout pendant plus de trois heures. Il n'est pas ennuyant car Akerman a bien compris que lent ne veut pas forcément dire ennuyant. Elle sait couper juste quand il faut avant que ça ne devienne trop long, mais en ayant toutefois laissé le plan durer assez longtemps pour transmettre la détresse de cette femme au spectateur.


D'ailleurs j'aime beaucoup la gradation dans le film. Le premier jour tout se passe parfaitement bien, le deuxième elle laisse brûler des patates, le troisième elle doit refaire du café... On sent que quelque chose ne va pas... On sent que c'est lié à sa vie pénible et inintéressante... Et c'est là que je rapprocherais ce film d'un film de Haneke. Chez Haneke on sait jamais réellement les raisons qui poussent untel ou untel à agir de telle ou telle façon... On n'a que des pistes, des suppositions... Un peu comme dans la vraie vie comme il le dit lui-même. Là, c'est pareil. On ne sait jamais quelles raisons peuvent amener à conduire à cette fin, on ne peut supposer.


D'ailleurs à titre personnel j'ai adoré parcourir cet appartement puisque vu qu'on s'y attarde, il finit par être familier. On reconnaît la décoration kitch, la tapisserie moche, etc. C'est froid, mais on s'habitue... D'ailleurs plusieurs pièces ressemblent vraiment à celles des maisons de mes grands-parents, ce qui ne fait, pour moi, que renforcer l'authenticité de la chose.
Bref, c'est un film fascinant et d'une grande force.

Moizi
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le 4 juin 2018

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Moizi

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