Dans l’une de ses œuvres des plus renommées, Chantal Akerman filme le quotidien d’une veuve au foyer pendant un peu plus de 48h. Jeanne est analysée à coup de plans séquences, dans un cadre fixe et qui le restera quitte à segmenter le corps du personnage qui s’y déplace. Ces paramètres visuels engourdissent la mise en scène devenant ainsi lourde et indolente : le spectateur se retrouve amèrement confronté à un bout de vie monochrome et mécanique d’une femme qui semble ne plus ressentir ni vivre mais agir aux dépends de son individualisme.
3h18 de film, nous pourrions penser que le minimalisme stylistique et narratif nous laisse à nous, spectateurs, l’espace de divaguer, de rêver et de penser, or il en est tout à fait autrement.
Les minutes sont comptées une à une, l’espace est clos, chaque geste est minutieusement ponctué par des sons tranchants brisant le silence de l’appartement vide, la solitude de Jeanne est pesante. Toute action devient une représentation de la condition tragique d’une femme au foyer, seule et taiseuse, ayant toujours vouer sa vie à l’alter, n’ayant jamais apprit à vivre que pour servir.
Si ses déplacements semblent marqués par une discipline presque automatisée, cela ajouté à l’inexpressivité de son visage, le personnage en devient alors imprévisible par son manque d’humanité. Par empathie, nous ressentons intellectuellement la douleur solitaire, la langueur du quotidien fatal sans avoir directement accès a l’état psychologique et sensible du personnage. Ce paradoxe instaure une tension irrespirable. L’on commence alors à s’attacher à quelques actes manqués : seuls l’oublie de fermer la fenêtre de la chambre, rater la cuisson du dîner ou bien de laisser la lumière allumé prennent une dimension sémantique affligeante.
Ainsi l’assemblage des divers procédés tant techniques que scénaristiques nous permettent d’éprouver dans sa complexité ce que l’on a trop longtemps normaliser, la femme ménagère, bo-bonne et heureuse en sa situation. L’œuvre dans son entièreté donne l’occasion au spectateur d’expérimenter sensiblement le désespoir et la descente aux enfers psychologiques d’une femme soumise au système et aux normes d’une société patriarcale.