La perspective de voir un film de 3h20, avec peu de dialogues et composé exclusivement de longs plans fixes sur des actions du quotidien a nécessité une certaine forme de préparation mentale, je l'avoue. Peur de trouver le temps trop long, de ne pas rentrer dedans, ou pire encore de m’endormir, mais également de voir mes attentes déçues devant une oeuvre de 1976 qui a tout de même été élue meilleur film de tous les temps par Sight & Sound, il y a peu.
Autant ne pas faire durer le suspense : je me suis pris une claque de cinéma monumentale.
Pas de sentiment d’ennui donc, j’ai au contraire été captivé de bout en bout. Avec ses faux airs de prémices de télé-réalité, c’est au contraire un film très mis en scène et qui ne se veut pas naturaliste. C’est grâce au génie de sa réalisation ultra pensée que Chantal Akerman parvient à créer une tension, un suspense, presque Hitchockien, à partir de rien, d’actions aussi banales que préparer du café, paner des escalopes de veau ou cirer des chaussures. Totalement fasciné, comme hypnotisé par la répétition de ces actions familières, j’ai observé et détaillé chacun des gestes, essayant de comprendre à quelles lois obéissait cette routine millimétrée et de guetter le moment où elle allait nécessairement s’enrayer.
Je n'ai pu détacher mes yeux de l'écran une seule seconde, le charisme et la performance de Delphine Seyrig y étant également pour beaucoup. Elle incarne cette femme qui s'interdit tout plaisir, en s'enfermant avec aliénation dans ce modèle patriarcal, où tout doit rester sous contrôle. Jusqu’à ce que, justement, ce plaisir surgisse de manière imprévue et vienne tout dérégler, le personnage perdant alors petit à petit le contrôle. Le jeu de l’actrice devient alors vertigineux (scène d’épluchage de pommes de terre inoubliable), jusqu'à un final sidérant.
Jeanne Dielman est un film immense dont je me sens encore imprégné plusieurs jours après.