"Jessica Forever" est un film qui pose problème. Et ce problème, malgré le rejet quasi viscéral que ce film a provoqué en nous, vaut certainement qu'on ouvre le débat. Voici un film largement conspué à Berlin comme l'un des pires "navets" (même pas au second degré, on y reviendra) vus depuis belle lurette, et qui recueille à sa sortie en France nombre de critiques élogieuses, voire même dithyrambiques dans certains cas, qui encouragent certainement le spectateur avide d'expériences originales à se risquer dans les salles.
"Jessica Forever" commence de manière intrigante, mélangeant les codes du vidéo-game de Science-Fiction avec la tranquillité pavillonnaire du Sud de la France : pourquoi pas ? Et ce d'autant qu'on comprend rapidement les choix de mise en scène originaux qui sont faits, et qui contredisent astucieusement le thème fantastique du film : il s'agit ici de nous livrer des moments de suspension, une action plutôt languide, et des portraits figés d'une troupe de jeunes adultes "monstrueux" vivant dans une communauté traquée par les autorités (dont nous ne verrons que les drones policiers…).
Malheureusement, le charme léger de l'introduction du film se dissipe vite, et laisse place à une véritable stupéfaction quand on réalise que le duo Vinel-Poggi n'a visiblement aucune idée ni de ce que le film veut vraiment nous dire, ni même de la manière la plus pertinente de filmer le sujet décidément bien faible du "scénario". On commence par tiquer devant l'embarras que manifestent les acteurs, qui semblent stupéfaits par ce qu'on leur demande de faire et par les dialogues imbéciles qu'ils doivent réciter. On essaie de ne pas se formaliser de la multitude d'incohérences complètes dans quasiment chacune des scènes, en se disant que l'on comprend bien que le film n'est pas réaliste, qu'il est une sorte de fable (... mais sur quoi, on se demande bien). Quand les "monstres" vont acheter une tarte aux fraises avec écrit dessus "Jessica on t'aime" et s'arrêtent sur le chemin caresser des chatons comme ceux qui parsèment les pages de Facebook, on se dit encore qu'il doit s'agit d'humour. Mais, plus le film avance, plus on a l'impression que le modèle absolu choisi pour la plupart des scènes est Instagram (oh, ce plan littéralement stupéfiant - de bêtise - de Jessica secouant ses cheveux après les avoir trempé dans la piscine !), là encore sans qu'il s'agisse de mise en abîme ou de réflexion sur l'artificialité de ces images qui phagocytent de plus en plus un film, qui prend alors l'allure d'une pub cheap pour les villages de vacances dans le midi.
Ne sachant donc visiblement pas quoi faire de leur point de départ scénaristique, Caroline Poggi et Jonathan Vinel décident d'injecter là-dedans de la romance adolescente, avec une histoire d'amour d'une naïveté qui confine vite à la niaiserie, et achèverait de décrédibiliser toute l'entreprise si, depuis un certain temps, nous n'étions pas préoccupés par quelque chose de beaucoup plus malsain qui émerge du film. Car la fascination des armes, des uniformes noirs, conjuguée au déballage croissant d'objets de consommation - et de junk food - qui constituent visiblement le seul horizon de la communauté, loin de déboucher comme on s'y attendait évidemment, vers la critique d'une société qui ne peut entraîner que superficialité, infantilisme puis nihilisme autodestructeur, semble réellement une fin en soi.
A ce stade de désastre, alors que l'ennui le dispute avec la nausée devant une telle horreur de "film", deux hypothèses s'affrontent dans notre esprit : soit l'incompétence "technique" totale des scénaristes / réalisateurs qui ont échoué totalement à nous transmettre leurs intentions, leur "message", soit, et c'est sans doute pire, le cynisme abject, l'arrogance imbécile "d'auteurs" qui méprisent profondément et leurs spectateurs, et le media qu'ils emploient.
Nous vous laisserons trancher. Ou pas, car nous ne saurions nullement vous encourager à gâcher une heure trente de votre vie devant "Jessica Forever".
[Critique écrite en 2019]
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