Sans voix-off, ce documentaire ne prononce pas directement de point de vue, émettant pour seule réponse à son sujet des manifestations de sidération - par l'entremise de Mike Papantonio (animateur radio connu pour ses compétences d'avocat – un équivalent français serait Julien Courbet). Il s'agit de montrer des enfants « embrigadés » avec pour catalyseur un rassemblement évangéliste (dit 'charismatique') pour enfants et pré-ados aux USA, dans un camp des Kids On Fire School of Ministry régenté par Becky Fischer. Ce que nous voyons pourtant, ce sont des enfants affirmatifs, aux discours assumés et clairs (peu importe si leurs prémisses semblent abracadabrantes). Ils sont positifs, sérieux, apparemment solides ; ils ont confiance en leur vocation.
De cette manière ils se font l'écho des adultes les encadrant, qu'il s'agisse de leurs parents ou des prêcheurs, Betty et ses partenaires, porteurs de Vérité. Tout le monde est focalisé et sûr de ce qu'il connaît, le doute est inexistant, la passion régnerait sans partage s'il n'y avait pas une once d'inquiétude. En effet, comme tous les gens avec des garanties compromises ou snobées par une large part de ses concitoyens, ils sont conscients des menaces pesant sur eux ; comme tous les fondamentalistes, ils savent bien que la défaite de leur cause ou la négation de leur message scellerait la damnation d'un ensemble plus vaste, la dégradation et le chaos sur leur région voire sur la Terre.
Les enfants de Jesus Camp portent donc une lourde responsabilité ; et surtout leurs représentations sont achevées. Ce sont des personnalités hyper-structurées. Leur condition mentale n'est pas attirante ; non qu'elle soit nécessairement malsaine, mais le champ de perception la régentant est limité ; dans leurs esprits comme dans leurs vies, il n'y aurait donc plus de territoires à explorer ; mais des révélations irréductibles à approfondir. Est-ce pire que la négligence ? On dira que c'en est une ; que ces enfants ne sont pas traités comme des individus dont il faudrait aller trouver et nourrir la sensibilité, mais des enfants auxquels on dicte l'unique et bonne sensibilité. C'est l'idée selon laquelle soumettre un enfant à un arbitraire est nocif, intrinsèquement – et égoïste de la part des adultes.
C'est vrai, ce qu'affirment ces enfants n'est jamais plus que leurs enseignements, ou les ambitions qui en sont tributaires. Leur futur peut être une succession de régressions triomphantes ; on peut le lire dans le sens inverse ; cette adhésion à une béquille solide forge des êtres blindés, en confiance car reliés à une force supérieure à toutes les entraves et les contrariétés de la vie humaine et des mesquineries de la société. Ils vont traverser l'existence avec aplomb et même partir à sa conquête ; ils subissent peut-être toutes ces leçons, toutes ces règles, mais ils ne seront pas des victimes d'un ordre externe, ou alors ils sauront s'en échapper ; dans le pire des cas, ils n'auront pas la sensation et surtout pas la conscience de leur aliénation. Qu'ont à leur offrir les émancipateurs professionnels et les âmes indolentes ? Le plaisir et la science pour éviter la tristesse et retarder le dessèchement ?
Ils ont à craindre les répercussions d'une telle foi. L'accent est mis sur la collusion entre politique et religion. Aux États-Unis, les évangélistes sont une force électorale considérable et certaines de leurs aspirations peuvent inquiéter la démocratie. Directement ou non, ils plaident pour la fin de la séparation entre l’Église et l’État, ou au minimum entre l’Église et l'action politique. Des chiffres sont cités : 25% de la population américaine (soit 80 millions de personnes), se dit évangéliste. 75% des enfants étudiants à domicile aux USA sont sujets au 'reborn' (la régénérescence spirituelle). Cette force a des effets concrets, comme la nomination de Samuel Alito parmi les Juges de la cour suprême (janvier 2006). Surtout, Bush et Karl Rove lui doivent une part de leur succès (et ont d'ailleurs répondu à ses appels, comme le dénonçaient les héros de Alabama Monroe).
Le film contient des images où les enfants scandent en faveur de « juges vertueux » c'est-à-dire refusant l'avortement. Les missionnaires ont leur langage : des notions telles que « guerre sainte » sont de la partie et s'il faut se débarrasser de ses hypocrisies et de ses faiblesses c'est pour intégrer « l'armée de Dieu ». Becky Fischer appelle à réparer ce « vieux monde malade » en soulignant « God fixe the rules ». Louant « l'intensité de ces enfants » elle trouve légitime d'enseigner une foi intransigeante et la remise de soi à Jésus-Christ, d'autant plus lorsque les autres religions endoctrinent de façon agressive. L'islam est dans la ligne de mire ; pas de vociférations haineuses à son endroit, juste l'identification d'un adversaire. La vision binaire et la dynamique fanatique prennent parfois des atours grotesques, comme lors de la préparation d'une conférence, où Becky lâche quelque chose comme « pas de problème de micro au nom de Jésus ».
Cette session centrée sur le Diable recèle la fameuse séquence où Becky prend à parti Harry Potter : les sorciers sont les ennemis de Dieu ! En mettant de côté l'éventuel effroi ou dégoût que peut susciter une telle perspective, on peut lui trouver des caractéristiques géniales. Le purisme est magnétique, surtout dans des sociétés où le sacré s'est envolé ou enchaîné à la médiocrité, où l'inconsistance des analyses publiquement célébrées se prend pour les stigmates d'une pensée toute en nuance. De nuances, il n'y en a plus ici ; on ne joue pas, ou alors un autre jeu, sans dupes, ouvertement générateur d'élus et d'exclus, mais d'exclus qu'il s'agit de convertir. Les protagonistes de Jesus Camp sont essentiellement tournés vers l'admiration, ils ne sont que secondairement en chasse de bêtes noires. Papantonio, qui se déclare chrétien (méthodiste), a beau considérer que les évangélistes dévient des fondements du christianisme ; leur élan en tout cas est celui de bâtisseurs, pas de simples haineux dégénérés.
En revanche que l'objet des Jesus Camp soit toxique pour l'image de la chrétienté ; dans le contexte présent c'est évident. Ce mouvement est tellement difficile à encadrer que les critiques se portent davantage sur les incantations répressives ; s'indigner à propos des incantations répressives de la part des prêcheurs est courant, faire face à une croisade est peu accessible ; c'est pourtant le vrai problème, mais comme Papantonio, la plupart des spectateurs occidentaux auront juste de la peine à le concevoir. Le document a beaucoup choqué et les protagonistes du Jesus Camp ont attiré les quolibets. Ted Haggard (le coach de Donnie Darko en plus manifestement vaniteux et manipulateur), pasteur de la New Life Church à Colorado Springs (ville QG des évangélistes), sera l'objet de scandales le poussant à la démission (et à se présenter comme un homosexuel repenti). Le camp lui-même a subi des actes de vandalisme qui l'ont contraint à la fermeture.
Par ailleurs Papantonio profère des extrémités en estimant, dès l'ouverture, que la religion pose problème car elle divise les gens et l'Amérique ; pendant que les adorateurs de « l'unité » entre les hommes se trouvent étrangers entre eux, cela leur évite de réaliser qu'ils sont des concurrents. Enfin le film en lui-même est sans grand relief, digne d'un reportage audiovisuel plutôt apathique voire formellement médiocre, mais jamais tapageur ni irrespectueux. Le nombre d'intervenants en-dehors des enfants est faible, l'exposition des conditions de vie dans le camp pas à l'ordre du jour (plutôt cotonneuses et ludiques pour le peu qu'on en voit), l'approche de leurs milieux de vie (modestes/''classes moyennes'' ou pauvres) superficielle ; concernant les parents, la parole n'est donnée qu'à une mère doctrinaire, enivrée par les principes « judéo chrétiens ».
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