Lors d’une soirée, Charles tombe par hasard sur une vieille connaissance qu’il a beaucoup de mal à remettre. Son interlocuteur l’appelle Charles très naturellement, mais lui n’arrive absolument pas à retrouver le bon prénom. Si l’ami (?) en question manifeste beaucoup d’enthousiasme, ses souvenirs sont vagues. C’était quand (à chiffrer en années) et où (Paris… New York…) ? Il s’enquiert d’une œuvre (un roman ?) à laquelle Charles travaillait, qu’il a semble-t-il abandonnée et oubliée depuis longtemps. Peu importe, puisque cela situe le milieu dans lequel les deux hommes évoluent, le genre intellectuels universitaires à la recherche de la bonne opportunité. Pendant que l’inconnu part lui chercher un verre, Charles se triture les méninges pour retrouver son prénom. Dans son cerveau commence alors une partie complètement folle d’un jeu intitulé Subconscious password, avec un animateur très cabotin : son surmoi. Dans ce jeu de questions comme on en trouve par dizaines dans le paysage audiovisuel, le candidat sera… Charles lui-même ! Et il va devoir affronter… son ego (guidé par... Yoko Ono) ! Le but du jeu ? Deviner un prénom, grâce à des questions ! Comme à la télé, le spectateur a droit à des indices et sait immédiatement quel est le prénom à deviner. Tout indique que Charles connaît parfaitement ce prénom, mais le candidat joue les crétins en répondant systématiquement à côté de la plaque…
Vu comme ça c’est déjà assez délirant. Mais il faut voir le film pour comprendre jusqu’où le réalisateur peut aller, c’est-à-dire loin, très loin. Si nous sommes dans l’inconscient du personnage, c’est qu’il ne s’agit pas ici que de mémoire défaillante. On pourrait d’abord considérer qu’il est un peu gratuit de faire intervenir l’inconscient, le surmoi et l’ego de Charles, surtout qu’en accélérant régulièrement le rythme le réalisateur fait défiler tellement de références que le spectateur est estomaqué (on ne peut pas tout faire en même temps, rire et capter tous les détails). Une seconde vision permet de mieux appréhender l’ensemble, même si les images défilent toujours aussi rapidement. Le cinéma et la littérature nous ont appris depuis longtemps que l’intelligentsia aisée nord-américaine baigne dans l’analyse façon Woody Allen, un rien les incitant à consulter un psy. Le film s’en moque très intelligemment. Ces intellectuels (et nous autres spectateurs à des degrés divers) baignons dans un océan de références culturelles perturbé par les goûts personnels et la vie affective (influence du milieu parental). Cela va de la littérature (l’énigmatique Lovecraft) à la psychanalyse en passant par la politique (Nixon, Kennedy), le journalisme, les vedettes du showbiz, etc. A force de s’imbiber frénétiquement de références plus ou moins bien digérées, tout se mélange dans un melting-pot infernal. C’est ce que le canadien Chris Landreth nous fait sentir en utilisant tous les moyens qui sont à sa disposition. Cela va de l’animation (et ses différentes techniques) aux références littéraires, en passant par un montage de plus en plus accéléré et schizophrène tout en jouant sur de multiples déformations de l’image. Ce qui est présenté comme un simple jeu façon devinette devient délirant, l’enjeu étant de conserver la maîtrise dans une situation qui peut avoir son importance.
Tout cela défile tellement vite que plusieurs visions de ce film (11 minutes) ne sont pas du tout superflues. Un défaut si on veut. Une qualité aussi, révélatrice de son incroyable richesse qui lui a valu le cristal du meilleur court métrage d’animation au festival d’Annecy en 2013.
Version originale, sous-titres anglais :
https://www.youtube.com/watch?v=8OCGTu_bkbg