Ce portrait désenchanté d’une jeunesse désœuvrée est un vrai film coup de poing qui sort très largement du lot de la production habituelle. À l’écriture, Fernando Di Leo adapte de nouveau Giorgio Scerbanenco pour bâtir un récit qui retrace la balade meurtrière de trois jeunes amis. Ces trois-là ne sont membres ni d’une quelconque entité politique ni d’une association criminelle. Issus de familles plutôt aisées, ils sont plutôt l’incarnation d’une jeunesse qui s’ennuie et qui ne croit absolument en rien. Résolument pessimiste, Jeunes, désespérés et violents montre une jeunesse qui semble reproduire les codes d'une société violente sans savoir vraiment pourquoi. Dans ce trio qui court à sa perte, le « blond », qui mène la bande avec une froide autorité, est secondé par Gio, dont les ricanements incessants en font un suiveur insupportable et un idiot de première classe, et par Luis, a priori le plus sage de tous, mais qui se révèle, au final, presque le plus coupable car il suit le groupe par faiblesse alors qu’il ne semble pas adhérer à ce fol excès de violence. Seule Léa, la petite amie de Luis, qui vient se joindre, par la force, au groupe, incarne la rébellion et donc l’espoir. Si, en effet, l’avenir de l’Italie doit se réduire à cette image de la jeunesse, son salut semble ne pouvoir venir que de cette figure qui refuse cette danse de la mort. C’est un élément franchement intéressant, tant la femme n’est habituellement pas un personnage dans le cinéma de Fernando Di Leo.


Autre aspect très intéressant de ce film, la police. Contrairement à la majorité des poliziottesco où elle est un moteur de l’action voire de la violence, la police est ici réduite à un simple rôle de spectateur. Incapable d’arrêter ces jeunes lors de leur premier méfait alors qu’ils sont à portée de main, incapable de les mettre en échec lors d’une course-poursuite en voiture et incapable d’éviter le drame final, elle est le visage même de l’inutilité. Pour incarner cette police dépassée par les événements, Romolo Guerrieri a eu la riche idée de confier le rôle du commissaire à un Tomas Milian en costume trois pièces, l’air soucieux, totalement débarrassé de ses tics de cabotin et incroyable de justesse. Loin de ses personnages excentriques et de ses déguisements parfois grotesques, il contribue à la subtilité du propos et on ne peut que se réjouir qu’il ait cédé à l’insistance du réalisateur qui le voulait dans ce rôle. Sa présence est d’autant plus marquante qu’elle n’est qu’épisodique, la police ne tenant qu’une place tout à fait secondaire. En quelque sorte, on retrouve cette même vision de la police que Di Leo donnait déjà dans Milan calibre 9.


Dommage que l’ensemble ne dispose pas d’une partition musicale autre que celle très mélancolique mais légère du générique inaugural. D’autres titres auraient, en effet, pu donner plus de consistance aux scènes d’action qui ne manquent pas et qui sont menées avec un véritable savoir-faire. Car la réussite du film tient aussi à sa capacité à utiliser avec intelligence les figures inhérentes au genre. Derrière son ton dramatique, tous les codes du poliziottesco sont de la partie avec ses fulgurances de violence et ses dialogues à l’emporte-pièce parfois. Autrement dit, s’il n’a pas la dimension politique de certains autres titres, ce film est une charge sociale très poussée.


Comme souvent avec Di Leo, on est ici encore à Milan, ville symbole de la réussite italienne. Une vision bien évidemment ironique puisque le théâtre de ce drame ne montre que des personnages rongés par l’échec. Même la foule sur le marché se précipite sur les billets que lance Gio à travers la vitre de leur voiture comme un synonyme de la fin du miracle économique et des difficultés rencontrées par chacun. Seule une jeunesse paumée, qui se retrouve dans la figure d’un autre groupe que rejoint notre trio, paraît au-dessus de ces questions d’argent dans une scène qui tourne à l’orgie. Visiblement privée d’éducation (comme le déclarera aux parents un commissaire totalement désabusé), cette jeunesse nihiliste et amorale fonce tête baissée droit dans le mur. Un symbole de cette Italie de la fin des années 1970 qui semble avoir perdu la mesure de ses valeurs.


Play-It-Again-Seb
7

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Liste et classement des films que j'ai vus ou revus en 2024

Créée

le 19 juin 2024

Critique lue 18 fois

4 j'aime

2 commentaires

PIAS

Écrit par

Critique lue 18 fois

4
2

D'autres avis sur Jeunes, désespérés, violents

Jeunes, désespérés, violents
RobertJohnson
7

Critique de Jeunes, désespérés, violents par Robert Johnson

Film assez intéressant car différent sur certains points des polars italiens typiques des années 70. Habituellement, les criminels de ces films sont des prolétaires ou des étudiants anarchistes. Et...

le 18 août 2013

5 j'aime

Jeunes, désespérés, violents
Play-It-Again-Seb
7

Génération désenchantée

Ce portrait désenchanté d’une jeunesse désœuvrée est un vrai film coup de poing qui sort très largement du lot de la production habituelle. À l’écriture, Fernando Di Leo adapte de nouveau Giorgio...

Par

le 19 juin 2024

4 j'aime

2

Jeunes, désespérés, violents
Heurt
6

Ils sont déjà mort

Le point de départ de ce film est la jeunesse. Une jeunesse livrée à elle-même, l'accent mis sur ce point est intéressant. On nous parle de jeunes qui ont été délaissés par leurs parents au profit du...

le 16 mars 2021

4 j'aime

Du même critique

Astérix et le Griffon - Astérix, tome 39
Play-It-Again-Seb
7

Le retour de la griffe Goscinny-Uderzo

Depuis la reprise de la série par Ferry et Conrad, nos amis gaulois avaient une sacrée gueule de bois. La disparition de René Goscinny avait déjà très sérieusement entamé la qualité des albums même...

Par

le 22 oct. 2021

24 j'aime

23

L'Iris blanc - Astérix, tome 40
Play-It-Again-Seb
4

La philosophie sur le comptoir

Aïe, aïe, aïe... L'arrivée de Fabrice Caro en lieu et place de Jean-Yves Ferri qui venait, à mon sens, de signer son meilleur Astérix dans le texte, était pourtant annoncée comme une bonne nouvelle...

Par

le 14 nov. 2023

22 j'aime

22

L'Emmerdeur
Play-It-Again-Seb
9

Pignon, ce roi des emmerdeurs

Premier film mettant en scène François Pignon, L’Emmerdeur est déjà un aboutissement. Parfaitement construit, le scénario est concis, dynamique et toujours capable de créer de nouvelles péripéties...

Par

le 12 août 2022

22 j'aime

10